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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/190

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Par l’hystérie proprement dite, Pierre Janet a précisé ce que Charcot appelait « une maladie psychique, » c’est-à-dire une maladie dont les symptômes sont uniquement psychologiques, dont les troubles ne peuvent être rapportés à une lésion organique. L’hystérique en effet ne présente aucune tare physiologique : les organes sensoriels fonctionnent normalement, et cependant les sens ne fournissent pas toujours des sensations. Ce n’est donc pas physiologiquement que se peuvent expliquer les « stigmates hystériques, » amnésies, anesthésies, contractures, suggestibilité. C’est bien la conscience elle-même qui est atteinte, dans laquelle il y a trouble, dédoublement, éparpillement. C’est comme si la clarté qui l’éclairé s’obscurcissait, éclairait moins loin. C’est un rétrécissement du champ où se porte la vue intérieure. « L’esprit ne semble plus capable d’opérer une réunion, une fusion simultanée de toutes les impressions qui lui viennent de la périphérie et qui sont groupées simultanément dans un esprit normal. »

Enfin, par la psychasthénie, Pierre Janet a achevé de dégager sa conception de la vie psychologique. Les névropathes qu’il appelle psychasthéniques sont, à la lettre, des âmes faibles, des consciences titubantes : ce sont des inquiets, des scrupuleux, des douleurs, des abouliques, des angoissés. À la différence des hystériques, toutes les fonctions psychologiques continuent de s’accomplir chez eux et ils continuent d’en avoir conscience, mais ces fonctions s’accomplissent mal, et ils en ont une conscience pénible, vague. Ils ne souffrent pas d’hallucinations, mais d’obsessions. Ils n’ont pas davantage d’anesthésies ou d’amnésies, mais des ruminations, de l’inertie, de l’indifférence. Ils s’en rendent compte. Leur maladie est une insuffisance générale, comme si toute leur existence avait perdu le relief et la couleur. Ils n’éprouvent que des « sentimens d’incomplétude. » La vie leur paraît lointaine, dénuée d’intérêt, irréelle. Ils vivent en rêve. On dirait que la mélodie qui constitue la vie de conscience a été chez eux transposée en mineur. C’est un violon qui joue en sourdine. Ou, si vous préférez, il y a eu abaissement de leur niveau mental. Si bien que, en définitive, il faut nous figurer la vie psychologique comme capable d’une certaine tension (les stoïciens parlaient déjà du τόνος, l’effort), et cette tension peut présenter une infinité de degrés. Lorsqu’elle diminue, il arrive qu’elle ne soit plus suffisante pour assurer certaines fonctions,