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pour répondre aux exigences de la vie : ainsi le moteur d’une automobile qui travaille fructueusement en palier s’affole vainement à la rampe. Les psychasthéniques sont des malades qui ne peuvent plus monter la côte. Tous les troubles qu’ils ressentent, les obsessions, les tics, l’angoisse, constituent seulement une dérivation de l’énergie qui ne parvenant, par suite de sa pauvreté même, à s’employer utilement, se gaspille et se dissipe en automatisme stérile. Guérir ces malades, ce serait simplement, en les stimulant, rehausser leur niveau, rétablir leur tension psychologique normale.

Aussi ces psychasthéniques sont-ils les plus instructifs pour le psychologue. Puisque ce sont des pauvres, en effet, les dépenses qu’ils suppriment de leur budget psychologique sont évidemment les plus coûteuses. Dès lors, les opérations intellectuelles et morales qui leur manquent étant les plus difficiles, il suffira de noter dans quel ordre les fonctions psychologiques disparaissent chez eux pour hiérarchiser du même coup ces fonctions, selon leur rang de difficulté.

Or, ces malades mènent une existence pâle, effacée, lointaine. Ce qui d’abord s’est affaibli chez eux, c’est le sentiment même de la vie : il n’y a donc rien de plus difficile que de vivre, de vivre avec relief et intensité, car vivre, c’est agir et improviser. Rien n’est plus compliqué que de percevoir la réalité présente, la réalité sociale surtout, le milieu où nous sommes, les gens qui nous entourent, et ces indigens d’esprit sont comme distraits : ils sont isolés, flottans. Tous les liens, qui à chaque moment nous rattachent aux choses et aux êtres, sont distendus ou brisés chez eux : ils ont perdu « la fonction du réel. » Ils l’ont perdue, parce que leur niveau mental s’est abaissé et que leur conscience, comme un flot qui recule, n’atteint plus à cette cime. « Donc, conclut l’aliéniste, deux phénomènes essentiels caractérisent les premiers degrés de cette hiérarchie psychologique : 1° l’unification, la concentration, surtout importante lorsqu’elle est nouvelle et qu’elle constitue la synthèse mentale ; 2° le nombre, la masse des phénomènes psychologiques qui doivent faire partie de cette synthèse. » Au plus bas degré, naturellement, se trouveront les phénomènes d’automatisme ; au plus élevé, les fonctions créatrices, la perception du « moi, » la représentation du « monde. »

Et ainsi la pathologie mentale, au terme de ses généralisations