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On se rend compte aussi qu’il ne suffit pas, pour expliquer des agitations d’esprit, des délires, des obsessions, de faire appel à des altérations viscérales, telles qu’il s’en produit dans n’importe quelle maladie du cœur ou du poumon. Tous les changemens vasculaires ou respiratoires que l’on peut observer se retrouvent identiques dans des états bien différens : que d’émotions s’accompagnent d’accélérations cardiaques : la timidité et la colère font également rougir le visage. Ces phénomènes sont des élémens dans des ensembles infiniment complexes. Ils ne peuvent renseigner en aucune manière sur les états de conscience ou les maladies mentales qu’ils accompagnent : c’est tout au plus s’ils les révèlent !

En réalité, l’aliéniste n’a qu’une ressource, une ressource psychologique. Il fait parler le malade, consigne ses réponses, s’en remet à son témoignage. Mais ce témoignage, c’est la connaissance que le malade a acquise de lui-même par lui-même, subjectivement, à l’aide de sa conscience. Il dit ce qu’il sent. Il le dit comme il veut, comme il peut. Ce névropathe fait de l’introspection, rien de plus. Il recommence pour son compte la psychologie de 1827 : il est supposé un Garnier ou un Victor Cousin. Aussi, quelle rencontre heureuse, quel fait privilégié, lorsqu’un aliéné est instruit, curieux, doué d’esprit de finesse et d’analyse. La merveille des merveilles, le miracle scientifique, c’est un psychologue qui deviendrait fou. Il y en a, Dieu merci !

De plus, ces données de la médecine mentale, nous dit-on, doivent être « classées, interprétées par la psychologie »... Le médecin est donc un psychologue, lui aussi, c’est-à-dire qu’il est capable d’utiliser avec sa conscience, à lui, le témoignage de la conscience des autres. L’habileté professionnelle est ici l’aptitude instinctive et acquise à se confondre avec le sujet, à imaginer, d’après soi-même, le désordre de sa pensée. J’ai déjà signalé la sympathie, l’intimité, l’abandon et la confiance d’une part, l’autorité et la bienveillance d’autre part, qui donnent à ces rapports d’aliéné et d’aliéniste un caractère sentimental si troublant : en voilà la raison profonde. Le médecin aussi, en vérité, ne pratique que l’introspection, l’auto-observation. Il vaudra selon la souplesse et le goût qu’il aura de s’identifier momentanément à ses « toqués. » Il les jugera d’après lui-même. Leur histoire sera la sienne. Son vrai mérite, en les observant, aura été de rendre objective la vieille méthode subjective, en la doublant,