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velléités inopérantes de la politique britannique n’aboutissaient qu’à encourager la résistance des populations et à multiplier les massacres : sous les yeux des consuls impuissans et de l’ambassadeur désarmé, les autorités turques procédaient à des pendaisons en masse et terrorisaient la Bulgarie. La crainte du mouvement panslaviste paralysait à Londres tout désir d’intervention et, plus les événemens lui paraissaient rendre inévitable une intervention européenne, plus l’Angleterre se barricadait dans sa politique d’abstention et se retranchait derrière ses principes d’intégrité et de centralisation libérale. Elle faisait un suprême effort en demandant la réunion d’une conférence européenne à Constantinople, tandis que les Turcs promettaient une fois de plus une constitution et deux Chambres (Constitution du 23 octobre 1876). La dépêche par laquelle lord Derby reprend, le 4 novembre 1876, sa proposition de conférence et la réponse du prince Gortchakof (18 novembre) précisent parfaitement les points de vue différens des deux gouvernemens. Lord Derby affirme la nécessité de « l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman. » Gortchakof répond : « Il importe de reconnaître que l’indépendance et l’intégrité de la Turquie doivent être subordonnées aux garanties réclamées par l’humanité, les sentimens de l’Europe chrétienne et le repos général... et, puisque la Porte est incapable de remplir les engagemens qu’elle a contractés, par le traité de 1856, vis-à-vis de ses sujets chrétiens... l’Europe a le droit et le devoir de se substituer à elle, en tant qu’il est nécessaire, pour en assurer l’exécution. »

Aussitôt la guerre déclarée, le cabinet de Londres éprouvait encore le besoin, le 6 mai, d’adresser à celui de Saint-Pétersbourg une communication où il spécifiait à quelles conditions il conserverait la neutralité ; avant tout, ce sont les intérêts britanniques en Asie qui y sont invoqués : le canal de Suez restera libre, l’Égypte ne sera pas comprise dans le rayon des hostilités, Constantinople restera aux Turcs, le régime du Bosphore et des Dardanelles ne sera pas modifié ; enfin le cabinet britannique fait allusion à des intérêts qu’il pourrait avoir à protéger « dans le golfe Persique. » Le Tsar, dans une conversation avec lord Loftus, à Livadia, dès le 2 novembre 1876, avait déjà pris soin de rassurer l’ambassadeur de la Reine ; Gortchakof à son tour répond, le 20 mai 1877, à la communication de lord Derby en renouvelant les mêmes assurances ; il n’entrait pas dans les intentions