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IV

Entre « l’intégrité » préconisée par l’Angleterre et l’affranchissement désiré par la Russie, le traité de Berlin était une transaction. Comme tel, tant parmi les populations orientales qu’en Europe, il avait semé des germes de mécontentement et laissé la porte ouverte à de prochaines complications. La première crise qui survint fut celle de 1885 et il était naturel qu’elle fût provoquée par les populations bulgares ; la réunion de la Roumélie à la Bulgarie, la guerre serbo-bulgare, les incidens de Grèce en sont les principaux épisodes ; nous nous garderons de suivre aussi bien les détails compliqués de ces événemens que les négociations obscures auxquelles ils ont donné lieu : le Livre Jaune français qui les relate n’a pas moins de 727 pages ! Nous voudrions seulement montrer comment et pourquoi l’attitude de plusieurs des grandes puissances et notamment celle de l’Angleterre et de la Russie, en face de cette nouvelle phase de la question d’Orient, sont déjà radicalement différentes de ce qu’elles avaient été en 1877 et 1878.

Le Congrès de Berlin avait traité les populations balkaniques comme une matière amorphe, où la volonté des puissances taillait, divisait, au gré d’intérêts qui n’étaient pas ceux des indigènes : il était dans la logique des choses qu’après le Congrès, les États nouveaux qui en étaient issus cherchassent à adopter une politique d’autant plus personnelle qu’ils étaient moins indépendans, plus inachevés ou plus fragiles. Nous avons dit pourquoi la Roumanie, devenue royaume, s’était aussitôt, par crainte de la Russie, tournée vers l’Allemagne. Au contraire, le Monténégro, très éloigné des Russes et de la route qui pourrait les mener à Constantinople, pouvant se croire menacé d’absorption par son puissant voisin autrichien, allait bientôt devenir, dans la péninsule, « le seul ami » de la Russie. La Serbie redoutait une hégémonie autrichienne trop étroite, mais sa vie économique la liait étroitement au débouché austro-hongrois : sa politique allait être ballottée entre les deux influences. Quant à la Bulgarie, sa situation était la plus douloureuse : la guerre, engagée pour sa délivrance, avait ressuscité la Grande-Bulgarie jusqu’à la mer Egée, aux confins de l’Albanie et aux portes de Salonique ; mais le traité de Berlin séparait en trois morceaux les populations bulgares ;