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il créait une principauté, la Bulgarie, une province privilégiée, la Roumélie ; enfin il replaçait sous l’autorité du Sultan tous les pays macédoniens. L’Europe, au XIXe siècle, a payé cher la faute d’avoir voulu forcer certaines nationalités à rester divisées en plusieurs tronçons : la volonté des peuples finit toujours par faire éclater les traités. L’union avec la Roumélie devint, après le Congrès de Berlin, la pensée unique de tous les Bulgares ; l’irritation causée par le traité fut si vive qu’elle rejaillit sur la Russie ; il aurait fallu, pour que la Russie réussît à se faire pardonner le bienfait de la délivrance dont les Bulgares lui étaient redevables, que les officiers et les généraux, qu’elle avait laissés dans le pays pour assurer son indépendance et organiser son armée, eussent la main légère et souple ; au contraire, ils se montrèrent maladroits, mécontentèrent les populations et firent naître chez elles la crainte de rester de simples satellites de la grande Russie. Le prince Alexandre de Battenberg, neveu du Tsar, fut lui-même obligé de suivre le mouvement et de marcher avec le parti national : en 1883, la rupture entre la Russie et la Bulgarie est complète. Dans la nuit du 17 au 18 septembre 1885, un comité à la tête duquel était le patriote Stranski proclamait, à Philippopoli, l’union de la Roumélie et de la Bulgarie sous le gouvernement du prince Alexandre qui accourait à Philippopoli et prenait le titre de prince des deux Bulgaries.

Qu’allait faire l’Europe en présence d’une violation aussi audacieuse du traité de Berlin ? Sans doute l’Angleterre, où lord Salisbury n’avait pas quitté le ministère, interviendrait au nom de l’intégrité de l’Empire ottoman et de la sécurité de Constantinople, compromise par la suppression de l’obstacle des Balkans. Mais, depuis 1878, les conditions de l’équilibre politique de l’Europe avaient été modifiées ; du traité de Berlin étaient sorties de nouvelles combinaisons de puissances. La Russie, irritée contre l’Allemagne, « se recueillait » dans la paix et dans le silence, tandis que le prince de Bismarck avait, dès le mois d’août 1879, dans l’entrevue de Gastein avec le comte Andrassy, jeté les bases de la Triple alliance et en avait imposé l’approbation, malgré ses vives répugnances, à l’Empereur son maître. L’alliance de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne était destinée à assurer le respect des traités, du traité de Francfort, mais aussi et surtout du traité de Berlin ; l’Autriche n’acceptait l’alliance défensive contre la France qu’en vue d’obtenir le concours