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de l’Empire allemand dans sa politique balkanique et son appui au cas où sa marche vers Salonique provoquerait une agression de la Russie. D’ailleurs le développement industriel et commercial de l’Allemagne et, à partir de 1884, son expansion coloniale, commençaient à faire sentir leur influence sur la politique du cabinet de Berlin. Quant aux hommes d’État anglais, ils n’avaient guère tardé à se rendre compte de l’illusion d’optique qui leur avait fait redouter la création d’une Bulgarie inféodée à la Russie : le Drang germanique commençait à les préoccuper aussi vivement que le testament de Pierre le Grand. L’attitude nouvelle que la diplomatie britannique allait prendre dans la question rouméliote est peut-être le premier acte de la rivalité qui met aujourd’hui aux prises, dans l’Empire ottoman, l’influence allemande et l’influence anglaise.

La proclamation de l’union et l’acceptation immédiate du prince de Battenberg plaçaient déjà l’Europe en présence d’un fait accompli : avantage considérable lorsqu’il s’agit de faire mouvoir une machine aussi lourde que le concert européen. La Roumélie bénéficiait en outre de ce qui restait encore en Europe du vieux sentiment de solidarité chrétienne et de l’idée moderne du droit des nationalités à disposer d’elles-mêmes ; l’opinion publique, peu soucieuse des traités, se prononçait en faveur de l’union, et plus d’un gouvernement, tout en rédigeant des circulaires sur la nécessité de respecter les décisions du Congrès de Berlin, souhaitait qu’on trouvât un biais pour permettre l’union des deux Bulgaries. Le Tsar, qui avait subi le Congrès de Berlin, fut celui qui se prononça avec le plus d’énergie et d’insistance pour le respect des traités et le retour au statu quo ante ; il rappela les officiers russes qui restaient encore dans l’armée bulgare et manifesta ouvertement son mécontentement. Alexandre III cherchait dans cette attitude un moyen de faire regretter à la Bulgarie son ingratitude, et de ne pas fortifier un État qui, créé par la Russie, s’était jeté dans les bras de ses rivaux ; il y trouvait, en même temps, une occasion de renouer avec la Turquie des relations plus cordiales. « Le respect des droits de S. M. I. le Sultan, » l’intégrité de ses États, tout ce qui faisait, de 1875 à 1878, le leit-motiv de la diplomatie anglaise, c’est en 1885, la diplomatie russe qui s’en empare et qui en joue. Et par un amusant chassé-croisé, « améliorer le sort des populations, examiner leurs griefs, consulter les vœux des populations, » toutes