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passages qu’on a si souvent exploités contre les mystiques, et où, de leur aveu même, il résulte que leur corps n’a pas toujours été étranger à leur amour. Sainte Thérèse par exemple écrit à propos de la Transverbération : « La douleur de cette blessure était si vive, qu’elle m’arrachait ces faibles soupirs dont je parlais naguère, mais cet indicible martyre me faisait goûter en même temps les plus suaves délices ; aussi je ne pouvais ni en désirer la fin, ni en trouver le bonheur hors de Dieu. Ce n’est pas une souffrance corporelle mais toute spirituelle, quoique le corps ne laisse pas d’y avoir beaucoup de part[1]. »

On a le droit de citer ces paroles, et c’est une justice de reconnaître que les médecins et psychologues qui traitent du mysticisme n’y ont jamais manqué ; mais il convient d’ajouter en même temps que sainte Thérèse a donné souvent de l’union mystique une description où les sensations du corps ne trouvaient pas leur place, et qu’elle a maintes fois célébré dans un enthousiasme lyrique des joies infinies comme la joie d’être élue, la joie d’être protégée, qui, pas plus que les joies de Pascal, ne furent des joies d’amour.


II

Mais si l’amour mystique n’était fait que de tendresse humaine, ce ne serait pas le sentiment durable et puissant que tous les mystiques nous décrivent. Cet amour de Dieu, si profond qu’ils peuvent s’y noyer pendant l’extase, si impétueux qu’il les entraîne comme un torrent, si vivace que, pour beaucoup d’entre eux, il ne s’éteint qu’avec la vie, ne peut pas avoir son unique source dans un sentiment plus faible que lui. Ce ne peut être qu’un sentiment complexe où se résument et s’associent toutes les tendresses humaines, le faisceau de toutes les puissances d’aimer. Aussi contient-il l’amour filial comme il contient l’amour, et bien des mystiques sont-ils allés vers Dieu, non seulement comme une femme va vers un époux, mais avec ce besoin de protection et cette affection reconnaissante qui serrent les petits contre leur mère.

A ne considérer que le langage et les métaphores, on trouverait déjà bien des raisons de croire à la parenté des deux sentimens.

  1. Sainte Thérèse, Autobiographie, ch. XXIX.