Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si Jésus est souvent le ravisseur des cœurs, le fiancé attendu et rêvé, c’est aussi le nourricier divin qui dispense aux affamés la nourriture dont ils ont besoin. Saint François de Sales, qui parlait de la Vierge en termes sensuels, parle dans des termes aussi sensuels des rapports de l’âme avec Dieu, et la seule différence, c’est qu’il n’emprunte pas à l’amour, mais à la maternité ses métaphores. « Ainsi donc, Théotime, Notre Seigneur montrant le très aimable sein de son amour à l’âme dévote, il la ramasse, et, par manière de dire, il replie toutes les puissances d’icelle dans le giron de sa douceur plus que maternelle, puis brûlant d’amour, il serre l’âme, il la joint, la presse et celle sur ses lèvres de suavité et sur ses délicieuses mamelles, la baisant du sacré baiser de sa bouche et lui faisant savourer ses tétins meilleurs que le vin[1]. » Quelques pages plus bas, il est plus explicite encore : « Si vous prenez garde aux petits enfans unis et jouant au sein de leurs mères, vous verrez que de temps en temps, ils se serrent et pressent, par de petits élans que le plaisir de téter leur donne. Ainsi, en l’oraison, le cœur uni à son Dieu, fait maintes fois certaines recharges d’union par des mouvemens avec lesquels il se serre et presse davantage en sa divine douceur[2]. » Il avait d’ailleurs pu prendre exemple sur sainte Thérèse qui décrit dans des termes très analogues l’oraison de quiétude :

« L’âme en cet état est comme un enfant à la mamelle, quand sa mère pour le régaler fait distiller le lait dans sa bouche sans qu’il remue seulement les lèvres. De même dans cette oraison, la volonté aime sans que l’entendement y contribue par son travail. Le Seigneur veut que, sans y penser, l’âme sente qu’elle est avec lui, boive le lait dont ce grand Dieu lui remplit la bouche et en goûte la douceur[3]. »

Ce sont là des métaphores bien précises et dont on pourrait, avec les mêmes réserves, tirer les mêmes conclusions que des métaphores d’amour, mais nous avons plus que des métaphores pour établir que les mystiques aiment Dieu d’une affection filiale. « L’Eternel est mon berger, » dit le psaume, « je n’aurai point de disette. Il me fait reposer dans des pâturages herbeux, et me mène le long des eaux tranquilles ; il restaure mon âme

  1. Traité de l’Amour de Dieu, l. VII, ch. I.
  2. Id., ibid.
  3. Chemin de la Perfection, XXXI.