Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et d’un consolateur, tantôt sous l’apparence d’un homme souffrant pour elle les pires souffrances, et elle l’aime de toutes ses forces d’amour, de reconnaissance et de pitié.

Ajoutons que, pour définir l’amour mystique, il ne suffit pas de dire, comme nous venons de le faire, quels sentimens humains s’unissent en lui. S’il n’était que de la tendresse conjugale, de l’amour filial et de la pitié confondus, il ne serait pas encore le sentiment si durable et si fort, dont tous les mystiques proclament et subissent l’empire. Ce qu’il ne faut pas oublier, si l’on veut se faire une idée de sa toute puissance, c’est qu’il a pour objet les réalités éternelles, qui dans l’esprit du mystique ne souffrent de comparaison avec aucune des réalités terrestres. Quand Dieu se présente sous la forme d’un fiancé, il apporte la tendresse qui ne tarit pas, les joies sans limites et sans fin de l’union divine. Quand il est le père nourricier ou le protecteur, ce qu’il offre à l’âme affamée ou craintive, c’est le pain de vie éternelle, le port de refuge où toutes les tempêtes viendront se briser ; même quand il baisse, sur la croix, son front couronné d’épines, il lui apparaît comme la rançon de son salut et de son bonheur d’outre-tombe ; quel que soit le sentiment qu’il éveille dans l’âme humaine, il en est non seulement l’objet idéal, mais l’objet absolu : « O Dieu et mon tout, » dit Louis de Blois, » ô abîme souverainement suave et aimable, rien ne pourrait te remplacer[1]. » Il suit de là que, pour comprendre la tendresse conjugale, l’affection filiale ou la pitié qu’une mystique porte à son Dieu, on doit multiplier l’humanité que ces sentimens contiennent par eux-mêmes de toute l’étendue et de toute l’énergie qu’y ajoutent les idées d’éternel, de divin et d’infini. L’amour mystique n’est certes pas un sentiment mystérieux, tombé du ciel sur les âmes élues et sans analogue sur la terre ; c’est au contraire l’amour humain, tout l’amour humain, mais projeté sur un centre nouveau que les mystiques appellent Dieu, et c’est de son objet, comme de ses multiples racines, qu’il tire sa durée et sa force.

Mais s’il restait toujours multiple dans ses élémens, il ne serait pas le torrent qui emporte, l’abîme ou l’âme se perd comme dans une mer sans fond. Au plus haut degré de l’extase, nous disent tous les mystiques, l’âme n’est plus éclairée par

  1. Appendice 2.