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pour la troisième série des représentations de l’Anneau du Niebelung au théâtre de Bayreuth. Certes l’offre était des plus tentantes et cette place, un billet provenant de Léon Lerov, l’écrivain tout dévoué aux intérêts de Wagner, aurait pu susciter de vives compétitions : il n’y en eut aucune et Fantin, qui n’était cependant pas un voyageur déterminé, accepta de partir sur-le-champ pour l’Allemagne, bien que cette absence dût faire reculer un peu son mariage (il comptait d’ailleurs retrouver Mlle Dubourg et son père à Nuremberg, puis aller avec eux à Munich), tant sa joie était grande d’être un des premiers, lui si vivement épris de la musique de Wagner, à visiter la Mecque de l’art de l’avenir, qui venait de sortir de terre par la volonté d’un homme et la protection d’un roi.

Mais il ne partit pas sans promettre à ses amis de les tenir au courant de ces fêtes, et c’est à Edmond Maître qu’il envoya les quatre lettres, — une après chaque partie du Ring, — dont je vais vous communiquer les passages essentiels. Quand je dis : lettres, le terme est impropre, car ces extraits n’ont pas de forme déterminée ; ce sont des notes très rapides en style télégraphique, une sorte de memento que le voyageur rédige pour lui-même et qu’il communique à ses amis de Paris, mais en recommandant bien qu’on le lui conserve, car c’est dans ces feuilles, écrites à la hâte, qu’il retrouvera plus tard ses impressions toutes fraîches, prises sur le vif, au courant de la plume et sans aucune recherche. En les lisant à votre tour, vous serez sans doute frappés de leur vivacité, de leur concision impétueuse, et vous ne serez pas sans remarquer à quel point l’œil du peintre, ici, est vivement frappé par ce qu’il voit, comme son oreille par ce qu’elle entend : c’est pour le voyageur, de quelque côté que son attention se tourne, un émerveillement toujours plus vif.

Dès qu’il arrive à Bayreuth et qu’il ouvre sa fenêtre, le dimanche 21 août, à cinq heures du matin, Fantin est charmé par l’aspect agréable et joyeux de la ville qui lui rappelle à la fois Versailles, La Haye et certains quartiers de Londres. Et quelle animation partout, dès la matinée ! La ville entière est pavoisée d’oriflammes rouge, blanc et noir ou d’autres bleu et blanc ; des troupes défilent, le Roi vient d’arriver pour la représentation du soir, les habitans ont pris leur grande tenue du dimanche, tandis que les touristes circulent en habits de voyage,