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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/410

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il faut ou bien franchir une solitude, ou bien faire un grand tour, par le boulevard Garibaldi. Il s’agit donc d’une région très isolée du reste de Paris. Les grands industriels ont pensé qu’ils y seraient tranquilles ; ils s’y sont établis. D’ailleurs, certains noms de rues sont ici comme des enseignes ; par exemple la rue des Entrepreneurs ou la rue des Usines. Les établissemens Cail sont partis et les terrains abandonnés s’offrent à la construction. Mais il existe encore d’importantes maisons, où trouve emploi une très nombreuse population ouvrière : aux Aciéries de France, aux forges et laminoirs, aux usines où l’on fabrique de la glace, des parquets de fer, le matériel des chemins de fer et les énormes dynamos pour machines électriques. Comme on le voit, l’industrie de Grenelle rappelle un peu celle du onzième ; les maisons sont moins nombreuses, mais elles occupent beaucoup plus d’ouvriers. Sur les quais, les débardeurs et terrassiers ont largement de quoi occuper leurs bras. Ils concourent au déchargement et au transport du charbon pour les usines, sur le quai de Grenelle, et des matériaux de construction, sables et pierres meulières, sur le quai de Javel. Ces débardeurs gagnent bien leur vie ; ils se font parfois 10 et 15 francs par jour ; mais ils dépensent tout leur salaire dans les bars et couchent dans d’affreux hôtels, où la police fait de fréquentes descentes quand elle recherche des malfaiteurs. S’il survient une crue de la Seine, ces gens, qui n’ont point eu de prévoyance, demandent de l’aide.

Javel, à la suite de Grenelle, contient encore de grands établissemens. On y fabrique des produits chimiques et des objets de caoutchouc ; on y façonne, chez les modeleurs-mécaniciens, les modèles en bois qui doivent servir aux métallurgistes pour leurs pièces d’acier ou de fonte ; il y a des moulins à farine et des magasins généraux. Comme à Saint-Lambert, on rencontre des entrepreneurs de travaux publics, des chantiers de tailleurs de pierres et du petit camionnage. Les charretiers des tombereaux sont payés au collier, c’est-à-dire suivant le nombre des chevaux qu’ils conduisent. Toute une partie de Javel est profondément misérable : l’« île aux singes » et les rue, passage et impasse Vignon. L’ « île aux singes » est le nom populaire donné à la région entre la rue de Javel et la rue Cauchy ; elle a sa base à la Seine et est inondée chaque hiver. Les constructions légères qui s’y trouvent sont habitées par des chiffonniers qui ont là