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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/423

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construction de hautes maisons. Le sable et la terre glaise, qu’on rencontre partout, obligent au creusement de puits profonds pour les fondations, et à des travaux d’art qui supposent la mise en œuvre de gros capitaux. Cependant, peu à peu, le quartier se modifie, la population compte déjà 15 000 âmes, les moyens de transport, dans les directions de l’Opéra et du Château-d’Eau, s’améliorent tous les jours ; les maraîchers s’en vont, ne laissant derrière eux que quelques horticulteurs qui font des fleurs pour les cimetières ; l’aspect champêtre du lieu est évidemment menacé. Mais la population jouit encore de commodités réelles ; elle est tranquille, vit de ses rentes, ou de son travail ; les mauvais garnis n’ont pas encore paru. C’est un séjour de sages, quelquefois d’heureux. Il y a des ombres dont nous n’avons rien dit ; l’impasse du Progrès, l’impasse Haxo, le passage Boudin sont des refuges où les malheureux s’entassent en des maisons basses, perdues dans des espaces considérables, absolument dépeuplés, dont quelques-uns mesurent 80 000 mètres carrés. Là, c’est la solitude qui encadre la misère.

Pour le reste de l’arrondissement, ce qui frappe, ce sont les différences qu’on constate dans l’extérieur des habitans, suivant qu’on s’approche ou qu’on s’éloigne des boulevards. Il y a comme une série d’étages dans la population.

En parcourant le quartier du Combat, il a fallu formuler un regret à la vue de ces misérables garnis qui avoisinent le boulevard de la Villette. A Belleville, c’est une plaie vive qui s’étale et se prolonge tout le long de Ménilmontant et dans le Père-Lachaise. Toutes les rues, dans le bas des deux quartiers, sont remplies de ces affreux immeubles, malpropres, surpeuplés, où logent, à la semaine, souvent à la nuit, plusieurs milliers de créatures, hommes et femmes, qui vivent d’expédiens et de délits. Les souteneurs, les filles, les repris de justice sont là, comme à l’affût des occasions qui peuvent s’offrir à leur portée. Pourquoi faut-il que, sous les mêmes toits, on trouve des travailleurs ? Ils veulent payer moins cher, ou plus commodément, leur logement. Ils perdent, à ce calcul, ce qu’ils ont de bon au cœur et leur moralité. Cette clientèle se tient si mal que les logeurs, aux époques de distribution des bons de logement, reçoi- vent, comme des hôtes de choix, les malheureux qui leur sont envoyés par les asiles de nuit. On a beaucoup parlé d’habitations à construire pour les ouvriers. C’est ici que l’on