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parce qu’en effet il entend faire du feuilleton une causerie avec le public lettré. Il y apporte avec sa verve, sa belle humeur, son savoir et son esprit, une remarquable liberté d’appréciation et de ton, et une coquetterie qui est la seule qu’on lui connaisse, celle de la franchise et de l’indépendance.

Sa préoccupation dominante est de dire ce qu’il pense et d’exprimer son opinion, c’est-à-dire une opinion qui soit bien la sienne et non pas celle d’un autre, ou celle qu’il devrait en partie à ce public auquel il vient d’être mêlé ou encore celle qui refléterait un jugement entendu, une influence subie. Tel est le premier et le dernier article de « l’examen de conscience » auquel il procède en tête d’un de ses livres ; ou, si vous préférez, c’est le commencement, le milieu et la fin de sa profession de foi. « Je suis si persuadé que ce que le public me demande c’est avant tout d’être moi-même, que quand, au cours d’une représentation, je cause avec un de mes confrères en critique, je le mets généralement sur la question d’Orient ou sur l’extinction du paupérisme. Chargé d’un feuilleton du dimanche, j’évite même avec la plus grande sollicitude de lire les critiques du lendemain qui paraissent avant que j’aie pris la plume... Il me serait impossible de lire tel de mes confrères, dont je fais le plus grand cas, sans que son opinion, si elle était contraire à la mienne, ne m’amenât à une sorte de tiers parti, nébuleux et fuligineux... » Cette faiblesse d’être juste milieu est celle où M. Faguet risque le moins de tomber. Car non content d’être de son opinion, il veut en être tout à fait ; et pour être mieux assuré de n’en rien diminuer, il la pousse à bout, écartant les timides atténuations et les concessions lâches, et fonce dans sa propre direction avec une fougue des plus divertissantes. Cela fait que ses jugemens semblent parfois un peu déconcertans ; quelques-unes de ses opinions, à force d’être personnelles, en deviennent singulières. Mais alors même, et par ces jugemens à arêtes vives, cette critique prime-sautière et hardie appelle la contradiction et incite le lecteur à réfléchir ; partant, elle est féconde. Parmi les critiques de théâtre restés fameux, je n’en vois guère qui aient fait circuler dans leur œuvre, et, par suite, éveillé chez nous, autant d’idées.

Les critiques que je viens de citer, — et d’autres qui s’appellent légion, — s’expliquent abondamment chaque mois, chaque semaine, ou chaque jour, sur le compte des auteurs de leur temps. Vous plairait-il inversement de savoir ce que les auteurs pensent de leurs critiques ? Ce n’est pas un grand mystère. Écartons de la question telles sympathies individuelles et amitiés personnelles ; c’est un fait