pour lui, avec une intensité et une ardeur admirables. Que de fois, dans une bourgade de Toscane ou d’Ombrie, un brave bomme rencontré au restaurant, un cocher de voiturin, m’a appris, sur l’histoire de tel « sanctuaire » ou de telle « villa, » des détails plus précis et plus pittoresques que ceux que j’avais lus dans les livres ! Et c’est ce don d’évocation patriotique, cette habitude d’unir dans une même tendresse le présent et le passé de sa ville natale, qui permettent à l’écrivain italien, pour peu qu’il y joigne le génie d’improvisation familier à sa race, de nous offrir des guides aussi excellens que le sont, par exemple, dans la collection de l’Institut de Bergame, l’Urbin de M, Lipparini, le Vicence de M. Pettina, le Ravenne et le Volterre de M. Ricci, ou le livre de MM. Molmenti et Mantovani sur les Iles de la Lagune de Venise.
Ces îles mortes, les deux auteurs les font revivre, une à une, devant nous. De la Giudecca à Saint-François du Désert, ils nous racontent leur gloire de jadis, nous les montrent dans tout l’éclat de leur élégante et joyeuse beauté, et puis, en deux mots, nous signalent la ruine qu’a faite, de chacune d’elles, le fatal décret de 1806. Leur admiration pour l’ancienne civilisation de Venise ne les rend pas injustes pour ce qui, désormais, s’est substitué à elle ; et c’est même avec un enthousiasme assez imprévu qu’ils célèbrent, au premier chapitre de leur livre, le remplacement de l’un des plus vénérables monastères de la Giudecca par un gigantesque moulin à vapeur, « capable de moudre, tranquillement, 2 750 quintaux de grain toutes les vingt-quatre heures. » Ils reconnaissent à ce moulin une part de « splendeur et de majesté, » et même « une certaine poésie, sévère, profonde, quasi symbolique. » Ils nous mettent en garde contre une tendance, trop commune, à « condamner, comme inesthétique, toute modernité, pour adorer, comme toujours belles, les œuvres du passé. » Mais quand, ensuite, ayant quitté la Giudecca et Saint-Georges-Majeur, ils abordent aux vraies îles de la Lagune de Venise, leur respect de la « modernité » ne tient pas devant le spectacle, vingt fois renouvelé, d’une dévastation plus barbare que ne le fut jamais celle des Huns ou des Visigoths. Et ainsi, de plus en plus, pour échapper à l’âpre tristesse qui les envahit, ils se tournent vers ce « passé » dont, maintenant, en comparaison de ce présent trop « moderne, » il n’y a plus œuvre si médiocre qui ne les ratisse. Eux qui, tout à l’heure, s’émerveillaient de la « majestueuse poésie » d’un moulin à vapeur, élevé sur le lieu d’une vieille église et d’un vieux couvent, les voici qui, presque arrivés au terme