Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 35.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore avisé de la saccager. Quant à Saint-Lazare, ce couvent de Pères Arméniens, — qui jadis avaient émigré de Morée pour n’avoir pas à subir la domination turque, — obtint d’être excepté du décret de Napoléon en se réclamant du pavillon turc. Il s’est donc maintenu tel qu’il était depuis sa fondation, dans les premières années du XVIIIe siècle : et c’est assez de l’apercevoir du dehors, au passage, comme je l’ai fait un matin de printemps, pour emporter à jamais de cette vision fugitive le charme d’un beau rêve, une adorable image de paix et de gaîté chrétiennes. Vingt îles. nous souriaient ainsi dans la Lagune, il y a un siècle, accueillantes et jolies autant que celle-là, et avec des merveilles d’art autrement précieuses : les chefs-d’œuvre de l’architecture et de la peinture italiennes.

Mais Saint-Lazare n’a pas besoin d’être signalée aux amateurs de Venise : tandis que je regrette de ne pouvoir pas citer les pages consacrées par MM. Molmenti et Mantovani à la seconde des deux îles qui ont réussi à garder leur destination et leur vie anciennes, Saint-François-du-Désert. Non pas que cette île ait jamais eu la vie joyeuse et brillante d’une Murano, ou même le recueillement souriant de Saint-Lazare. Un « désert, » telle l’a bien voulue le Pauvre d’Assise, lorsqu’en 1220, à son retour d’Egypte, il s’y est arrêté pour « bâtir, de ses mains, une cabane de joncs cimentée de boue : » mais, à défaut d’hommes, d’innombrables oiseaux peuplaient, continuent aujourd’hui à peupler ce désert. « Petits oiseaux, mes frères, interrompez-vous un moment de chanter, jusqu’à ce que nous ayons fini nos oraisons ! » C’est là qu’ont été dites ces paroles célèbres : et nous les entendons planer encore sur la petite lie, parmi les vénérables cyprès, autour de l’humble et charmant clocher pointu de l’église. De toutes les îles de la Lagune vénitienne, aucune n’est plus doucement, plus saintement belle. « Nulle part on n’a plus vraiment l’impression d’être loin du monde, d’avoir pénétré dans un lieu de paix surhumaine. Et l’âme de saint François poursuit immortellement sa prière, parmi les arbres avec leurs milliers de nids, en face de la Lagune scintillante de soleil. »


T. DE WYZEWA.