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toute militaire, me frappèrent de respect et de tristesse… De ces dalles, que n’échauffent jamais les genoux du protestant, semblaient sortir des voix graves, des accens d’un triomphe calme et serein, puis des soupirs de mourant et les murmures d’une agonie tranquille, résignée, confiante, sans un râle et sans un gémissement. C’était la voix du martyre calviniste, martyre sans extase et sans délire, supplice dont la souffrance est étouffée sous l’orgueil austère et la certitude auguste.

« Naturellement ces chants imaginaires prirent dans mon cerveau la forme du beau cantique de l’opéra des Huguenots. » Et le romancier-poète, artiste par surcroît ce jour-là, de s’écrier avec enthousiasme : « O musicien plus poète qu’aucun de nous, dans quel repli inconnu de votre âme, dans quel trésor caché de votre intelligence avez-vous trouvé ces traits si nets et si purs, cette conception simple comme l’antique, vraie comme l’histoire, lucide comme la conscience, forte comme la foi ? »

Encore n’est-ce là qu’un des aspects historiques du chef-d’œuvre. La musique des Huguenots a plus d’une façon d’être « vraie comme l’histoire. » Elle sait l’être (aux deux premiers actes) selon l’esprit de la Renaissance, comme, aux derniers, suivant l’idéal luthérien. Le génie de Meyerbeer, son génie historique, est dans ces rencontres et ces contrastes, dont le Prophète offrirait, après les Huguenots, des exemples non moins éclatans. Diversité des époques et diversité des pays, la couleur locale ne consiste que dans le sentiment de l’une et de l’autre, et cette couleur, intense ou légère, il n’est pas un de ses tableaux, un de ses décors, où Meyerbeer ne l’ait répandue. Est-il besoin de citer les plus fameux et les plus grandioses : le cloître de Robert le Diable, les paysages exotiques de l’Africaine, la cathédrale du Prophète et ses liturgies triomphales ; au cinquième acte des Huguenots, les abords du temple protestant ; au troisième, le Pré aux Clercs, où le couvre-feu se traîne dans la brume chaude d’un soir d’été. Chez Nevers, au premier acte, à travers les ensembles trop, souvent sommaires, un peu gros et comme brossés, que d’arabesques fait courir au plafond de la salle une ritournelle, une phrase de chant ou d’orchestre, un dialogue, un récit ! Un peu plus loin, quelle sensation de fraicheur, d’ombrages et d’eaux courantes nous donne le prélude instrumental et la première phrase de la reine, dès que le rideau se lève sur les jardins et la rivière de Chenonceaux !