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Phéniciens ou Grecs, trafiquant partout, ouvrant des comptoirs, étendant leurs affaires et leurs relations. Longtemps les « mers du Ponant, » les Océans, furent réservés, par privilège royal, à l’activité des marins français des côtes de l’Atlantique ; les Marseillais réclamèrent la liberté des mers et, dès qu’ils l’eurent obtenue, ils se hâtèrent d’en profiter pour sortir de ce cul-de-sac de la Méditerranée, trop étroit pour leurs entreprises audacieuses. Au XVIIIe siècle, pour le commerce des Antilles, après Bordeaux et Nantes, Marseille, malgré sa situation défavorable, se fait une place considérable au troisième rang, qu’elle dispute au Havre. Les vaisseaux de Georges Roux, dit Roux de Corse, vont chercher les produits des Iles, le cacao, le café, le coton, le sucre ; pendant les grandes guerres du règne de Louis XV, les Marseillais arment des corsaires qui pourchassent rudement le commerce anglais : « Je ressemble à M. Roux, de Marseille, écrivait Voltaire à d’Alembert le 10 août 1776, qui fit la guerre aux Anglais, en 1756, en son propre et privé nom. » Voltaire se vantait, car, tandis qu’il prenait légèrement son parti de la perte de « quelques arpens de neige, » les négocians de Marseille protestaient de toute leur énergie contre le désastre du traité de Paris. André Brüe, le créateur de notre colonie du Sénégal, d’Entrecasteaux, le grand navigateur, sont des Marseillais ; Provençal aussi cet admirable bailli de Suffren et tant d’autres vaillans marins qui auraient donné à la France l’empire des mers et des colonies si le cœur du roi avait été à la hauteur de l’énergie des sujets ; Marseillais, enfin, ce terrible Victor Hugues qui fut proconsul de la Convention dans les Antilles et arracha la Guadeloupe aux Anglais. Il faut lire, dans l’excellent livre de M. Paul Masson, publié à l’occasion de l’Exposition et sur lequel nous aurons à revenir, toute cette histoire de l’activité marseillaise et de l’expansion des Français au dehors, pour saisir sur le vif les causes profondes et le vrai caractère des grandes guerres du XVIIIe siècle, de ce duel de géans qui commence avec Colbert pour finir par Waterloo et dont, en un certain sens, la Révolution n’est qu’un épisode. Quel historien réussira jamais à retrouver et à mettre en pleine lumière les liens mystérieux qui font de la Révolution une revanche de nos victoires navales dans la guerre d’Amérique ? Après le traité de Versailles (1783), la flotte française est maîtresse des mers ; le commerce et les colons français se répandent sur tous les continens. Mais surviennent