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Comment ne pas être séduit par un ensemble d’études qui fait revivre le passé, au point de restaurer toute une géographie physique entièrement disparue et de nous révéler, dans un quartier de Paris, le siège de conditions qui règnent à présent dans un des pays qui diffèrent le plus profondément du nôtre ? Il s’agit de la portion orientale de la mer Caspienne qu’on désigne sous le nom de Kara-Boghaz et où, par une espèce très particulière de capture des eaux marines, il se fait un gigantesque gîte de sel gemme et de pierre à plâtre. C’est un espace de 200 kilomètres en tous sens, où l’eau en couche mince, s’évapore avec une très grande activité et dépose en abondance toutes les substances qu’elle tenait en dissolution. La mer, alimentée par la Volga et les autres cours d’eau douce qui se jettent dans son bassin, répare les diminutions de niveau du Kara-Boghaz par des afflux incessans et les concrétions cristallines croissent sans relâche. On peut entrevoir une époque où les flots de la Caspienne seront entièrement dessalés : tout leur sel et tout leur gypse auront alors été immobilisés dans le bassin évaporateur et la mer aura véritablement été lavée par les contributions fluviatiles qui la traversent sans jamais s’arrêter.

Donc, ce n’est pas seulement à la région du Bourg de Batz. c’est aussi à celle de Kara-Boghaz qu’il est légitime de comparer le boulevard de la Chapelle à l’époque gypsienne !

Mais pendant que, dans ce coin du futur Paris, les actions géologiques donnaient naissance à la grande complication des quatre masses gypseuses superposées, il y avait des localités toutes voisines où (du moins pendant le début) les phénomènes d’évaporation ne se faisaient pas si aisément. Par exemple, à Ménilmontant, la mer, après avoir déposé des sables verts qu’on retrouve partout sous les gypses, continua de faire succéder les lits de marne aux lits de marne pendant que le régime lagunaire était déjà en plein fonctionnement à la Chapelle ; et c’est seulement quand la troisième masse commençait à s’étendre sur la quatrième, que l’évaporation des eaux donnait enfin lieu, à Ménilmontant, à la production de bancs de pierre à plâtre.

En y réfléchissant, on trouve que la seule explication possible de circonstances en apparence si capricieuses, consiste à invoquer un déplacement horizontal de la mer : pendant que son rivage passait à la Chapelle, Ménilmontant était encore sous les flots. Mais le soulèvement du fond se propageant peu à peu,