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clé, c’est-à-dire de rentrer à quelque heure que ce soit ; il arrive même certain soir qu’elle ne rentre pas du tout.

Lily trouve raisonnable d’utiliser cette faveur, malgré l’ennui qui l’accompagne, jusqu’à ce qu’elle ait découvert le moyen de s’en passer. Envers Mme Peniston elle ne s’impose aucun devoir ; cette tante, qui appartient à la vieille école quasi hollandaise de New-York, consacre beaucoup de temps à son intérieur, luisant comme une glace, et est elle-même, dès le matin, sanglée dans du satin noir à ornemens de jais, ce qui suffit et au-delà, semble-t-il, à expliquer le juste mépris qu’elle inspire à sa nièce ; mais celle-ci reste parfaitement libre d’accepter de son côté les invitations qui lui sont faites. Pourquoi pas, puisqu’elles l’amusent et la conduiront peut-être à un brillant mariage ? Lily n’aurait donc garde de refuser de se joindre aux séries mondaines qui font de Bellomont le séjour de toutes les élégances et de tous les plaisirs.

Cette fois Judy Trenor a invité les très insignifiantes misses van Osburgh, habituées à entendre dire que leur père est le citoyen le plus riche d’Amérique et Carry Fisher qui en est à son second divorce, n’ayant trouvé que ce moyen de se faire payer une large pension censée alimentaire ; quelques personnes revêches lui font froide mine, mais elle a pour elle tous les maris et un certain nombre d’épouses, ravies d’être débarrassées de leur seigneur et maître pourvu que cela ne coûte pas trop cher, car Mme Fisher passe pour emprunter beaucoup d’argent à ceux qu’elle amuse. Ses hardiesses reposent les hôtes de Bellomont du contact fastidieux d’une Anglaise en voyage, lady Cressida Raith qui a le tort de distribuer trop de brochures édifiantes et d’être morale à l’excès dans ses propos comme dans sa conduite. C’est ce qu’on ne pourrait reprocher à Mme Dorset, souple et fine à passer dans une bague, avec d’immenses yeux noirs qui ont fait dire d’elle qu’elle avait l’air d’un esprit dématérialisé qui cependant tiendrait beaucoup de place. La chronique scandaleuse a jasé sur cette sylphide et sur Lawrence Selden, mais c’est fini apparemment.

Selden ayant refusé l’invitation à Bellomont, elle est capable de se dédommager en attaquant Percy Gryce, ce qui contrarierait fort Mme Trenor, car elle a invité Gryce expressément pour Lily. Et Lily, instruite de cette intention par son amie qu’elle aide à écrire des menus, de petits billets du matin, à retrouver des adresses perdues, à mettre des comptes en ordre, — rien ne