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elle reçoit « force honnêtetés, » dit-elle, et où on la fait asseoir en place d’honneur :


Dans les deux salles, il y avait au moins 500 lampes ou cierges ; jugez si l’on étouffait ! Je suais à grosses gouttes en sortant, et je dus mettre ma robe sur ma tête pour aller chercher le carrosse, car il n’entre pas dans la Juiverie. Ce qui m’a surtout plu, c’est leurs chants : imaginez quatre cents chats, sur des gouttières, qui crient à qui mieux mieux ; j’en ris encore en y pensant. C’était Salomon qui portait le pentatheuque ; il lui en avait coûté trente livres pour avoir cet honneur, parce qu’il s’achète à l’enchère. Les juives sont extrêmement jolies.


Le lendemain, c’est un grand souper chez Mme de Vaucluse, la plus en vogue et la plus renommée parmi les belles dames de la ville, malgré ses soixante-dix-sept ans :


C’est une grande femme maigre, sèche et noire, du rouge carotte sur les deux joues, sans frisure, mais un bonnet fort reculé, étiré, et basqué comme une fille de quinze ans, des bottes à ses manchettes, qui lui donnent l’air beaucoup plus leste. Elle me proposa à souper ; je la remerciai ; j’étais auprès d’elle : je vis entrer trente personnes ; elle se leva chaque fois, faisant un compliment à tout le monde. Je lui dis que cela devait la fatiguer beaucoup ; elle me répondit : Point, point, c’est habitude, ne vous dérangez pas ; ce que je fis, car cela me tuait. Depuis deux heures jusqu’à onze heures du soir, elle passe Avignon en revue, heure à laquelle deux femmes de chambre entrent, la déshabillent, et lui changent de chemise devant tout le monde ; et elle va se coucher. Mais cela n’empêche pas que tous ceux qui veulent restent jusqu’à sept heures du matin le lendemain. Avignon sera désert, quand cette bonne femme-là lui manquera.


A Montpellier, où elle fait un plus long séjour, elle imagine ; pour célébrer le Mardi gras, d’improviser une petite « réjouissance » intime et sans façon, dont elle donne le récit :


Entre midi et une heure, arriva toute la compagnie, nous eûmes un très grand, très bon et très délicat dîner, qui fut mangé avec un bel appétit par dix-neuf personnes. On y but beaucoup, il y eut grande joie et l’on y resta longtemps. Après le café, on fit force parties, auxquelles, sur les six heures du soir, succéda notre pharaon ordinaire, au milieu duquel cinq de nos convives furent obligés de nous quitter, pour assister à un souper où ils étaient invités. Pour ne point passer la soirée seuls, nous imaginâmes de retenir notre monde : il s’y était joint trois dames de plus. Sur la table de pharaon je fis servir un ambigu, des rogatons du matin, où j’avais fait ajouter une bonne soupe de riz, une poule dessus, un gigot de mouton, et un rôt d’agneau ; Votre père fut charmant et nous mit tous en train. Nous chantâmes, nous bûmes force vin, et nous nous embrassâmes beaucoup. Après la panse, vint la danse, qui commenta par des branles à la voix, où