Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être l’ami de M. du Deffand (je lui en connais un de ce nom), et il se pourrait faire que l’anonyme fût M. du Deffand, cela serait plaisant ! — M. de Céreste a bien ri de l’article de M. du Deffand, réplique Hénault sur le même ton. Je meurs d’impatience de savoir ce qu’il en est, mais je n’ose m’en flatter. Si cela était pourtant, qu’en feriez-vous ? J’imagine qu’il prendrait son parti et qu’il ferait une troisième fugue. » Ce à quoi il joint le conseil de se munir d’un bon verrou : « Ainsi vous n’aurez pas à craindre les entreprises conjugales. Prenez-y garde au moins, les eaux de Forges sont spécifiques ; et ce serait bien le diable d’être allée à Forges pour une grosseur et d’en rapporter deux ! » Le marquis prit les choses avec moins de philosophie. Le peu que l’on sait sur son compte, après ces derniers événemens, le représente chagrin, morose et abattu, traînant une existence solitaire et mélancolique. Lorsque, en juin 1750, il se sentit près de sa fin[1], il désira revoir une dernière fois sa femme ; sur le conseil de ses amis, elle se rendit à son chevet. Ce qu’ils se dirent, nul ne le sait, mais on aimerait à croire que la marquise sortit de l’entretien avec quelque tristesse dans l’âme, et peut-être quelque remords.


III

De « l’accommodement » avorté dont on vient de lire le récit date l’émancipation complète de Mme du Deffand ; c’est à partir de ce moment que commence à se dessiner sa physionomie historique. Deux circonstances, presque simultanées, l’orientèrent vers la voie nouvelle dont elle ne devait plus s’écarter désormais, son entrée dans la société intime de la duchesse du Maine et sa liaison avec le président Hénault. Les faits ici sont trop connus pour qu’il soit nécessaire de les raconter une fois de plus ; je me bornerai donc, pour la phase qui va suivre, à donner des fragmens de la correspondance de Mme du Deffand avec sa sœur d’Aulan[2], en les accompagnant de quelques commentaires. Les premières de ces lettres, bien qu’elle y parle peu d’elle-même, nous renseignent au moins assez exactement sur le ton qu’elle emploie dans ses rapports avec les siens.

  1. Le marquis du Deffand mourut le 24 juin 1750, à quatre heures du matin. Il était âgé de soixante-deux ans.
  2. Archives de la Drôme.