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matière poétique par les Français de langue d’oïl et de langue d’oc, les Siciliens, les Bolonais et les Toscans. Tout son effort porte sur la mise en scène de ses narrations épiques, sur les attitudes et gesticulations significatives de ses acteurs. La beauté de leurs attitudes et de leurs gestes varie merveilleusement suivant les sujets, comme elle varie dans la nature. Pour la beauté des visages, moins importante à distance en des peintures monumentales et dans des spectacles si émouvans, il se contente, en général, d’une correction plus sévère et d’une régularité plus noble. Quoiqu’il y ait de notables différences entre ses vierges et saintes d’Assise, de Florence, de Padoue, son type féminin, de tradition classique, reste un peu monotone. Chez quelques-uns de ses successeurs, il tournerait vite à la banalité disgracieuse, si Giottino, Giovanni da Milano, Puccio Capanna, Antonio Veneziano ne s’efforçaient, mais assez timidement, d’introduire dans le visage de leurs acteurs une beauté plus saisissante et pénétrante, par une plus grande vérité d’observation.

Les sculpteurs, cette fois encore, avaient marché plus vite que les peintres, et d’abord, en tête, Giovanni, puis Andréa de Pise. Tous deux sont visiblement apparentés à leurs confrères de France. Giovanni, plus inégal, plus incertain, mais aussi plus hardi, recherche l’effet dramatique jusqu’en ses plus âpres violences ; Andréa, lui, préfère, dans la souplesse et l’élégance des formes, dans la clarté et la simplicité des actions, l’harmonie expressive des ensembles. Tous deux simultanément préparaient d’ailleurs et hâtaient l’évolution naturaliste et imaginative. Giovanni même, dans sa figurine de la Tempérance, donne, en Italie, à Pise, le premier exemple de la beauté sans voiles, étudiée sur le vif, sous le coup d’une émotion esthétique en face de quelque fragment gréco-romain. Cette réapparition hardie de la nudité d’Aphrodite, sous prétexte de symbolisme chrétien, ne tarde pas à susciter des imitateurs. La grâce et la force du corps humain n’ont-elles pas toujours été, ne seront-elles pas toujours une tentation irrésistible pour les sculpteurs amoureux des formes ? N’est-ce pas à cette opiniâtre séduction qu’il faut attribuer, durant les plus sombres périodes du moyen âge, la persistance prépondérante, souvent fort inattendue, dans les bas-reliefs funéraires ou décoratifs, de quelques motifs bibliques ou évangéliques justifiant la présence de figures nues et l’usage des réminiscences antiques : Adam et Eve, Daniel, Jonas, Isaac, etc. ?