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et vif, d’une couleur brillante et chaude ! Mais combien plus d’étonnantes descriptions, de claires visions, d’intelligence de la nature, d’analyses émues des êtres et des choses dans ses œuvres d’imagination, poésies et romans, la Théséide, le Nimfale Fiesolano, la Fiammetta, l’Ameto surtout ! Dans ce dernier livre apparaissent, déjà délicieusement parés ou savamment déshabillés, les héros et les héroïnes paganisés dont s’engouera bientôt l’imagination italienne. Un siècle avant Botticelli, Ameto, dans la campagne toscane, avait déjà rencontré les Nymphes de la Primavera : « La plus belle avait les cheveux enroulés autour de la tête d’une façon étrange, et retenus, contre les souffles de l’air pur, par un nœud élégant d’or léger, de même couleur qu’eux. Elle portait une couronne de lierre très vert, arraché à son ormeau favori, sous laquelle s’étendait un large front (le front florentin, celui des femmes de Verrocchio et Ghirlandajo, celui de Béatrix et de la Joconde), lisse et blanc, sans un pli, avec, au-dessous, des sourcils très minces, en forme d’arcs, couleur du Styx, qu’accompagnent, ni trop cachés, ni trop saillans, deux yeux, deux lumières divines, vifs, aux aguets, d’une fierté décente. » Suivent les descriptions du nez, de la bouche, du menton, du cou blanc et délicat, les épaules droites et égales, « le tout si beau, correspondant si bien au reste, qu’on est attiré par force de ceci à cela… » Même admiration pour « les parties couvertes du corps, ses légers reliefs, au-dessus de la ceinture, sous une robe très mince, couleur de flamme, ne cachant rien de la forme des seins, qui résistent à la draperie souple, affirmant franchement leur solidité. Les bras ouverts, de la grosseur voulue, serrés dans le beau vêtement, montrant les mains plus pleines, mais délicates, aux doigts très longs, ornées d’anneaux précieux, qu’Ameto voudrait voir tendre par elle vers lui plutôt que vers tout autre. » La voilà donc aussi, cette belle main florentine, longue, blanche, souple, expressive, célébrée par tous les poètes de l’Italie, depuis Giusto de Conti, Laurent de Médicis, Politien, jusqu’à M. d’Annunzio, par tous ses peintres depuis Botticelli et Léonard.

En même temps que les poètes et les conteurs surexcitaient ainsi l’imagination de leurs compatriotes, déjà si portés, par tempérament, aux exultations de l’amour sensuel ou rêveur, tous les autres lettrés et humanistes, érudits, professeurs, hommes d’Etat, riches bourgeois, concouraient à l’étendre et l’enrichir