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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/565

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l’accent vainqueur retentit avec des éclats de trompette, et l’enthousiasme éclate en allégories terribles ou charmantes, en images formidables ou consolantes, d’une vivacité et d’une couleur propres à exalter des artistes. Ces ardentes visions, en effet, vont les inspirer, elles les inspirent déjà. L’un des artistes les plus mondains de Florence, l’un de ceux qui vivaient dans ce monde « où l’on ne croyait quasi à rien au-dessus de son toit… où l’on portait tant de musc, tant de parfums, avec tant de magnificences, élégances et galanteries, qu’on s’envolait par l’imagination sans avoir d’ailes, » nous a raconté lui-même sa conversion. Bettuccio, miniaturiste et musicien, était un des plus enragés parmi les enragés, gli Arrabiati, amis des Médicis, dévots du paganisme, hostiles au moine. Un jour, une grande et belle dame, admiratrice de Savonarole, le décide à l’accompagner à Santa Maria del Fiore. Il s’y sent mal à l’aise, entouré d’œillades défiantes, au milieu d’une multitude fanatique. Inquiet, sceptique, ironique, il veut s’évader ; on le retient. Mais voici le moine en chaire : il parle, il crie, il tonne, et c’est un tel défilé de visions sublimes évoquées devant les yeux par la musique retentissante de son verbe sonore, ce sont de tels coups frappés à plein dans l’âme par des échos douloureux et inattendus des grandes voix oubliées, celles des Prophètes et du Christ, que Bettuccio « se sent plus mort que vif, » court s’enfermer chez lui, laisse là son luth et ses pinceaux, et, quelques jours après, s’agenouille devant Savonarole on le suppliant de lui passer la robe de moine. Pour l’obtenir, il accepte un dur noviciat comme infirmier et fossoyeur dans un hôpital.

L’histoire de Fra Benedetto est celle de deux fils d’Andréa della Robbia, de Baccio della Porta (Fra Bartolommeo) qui, lui aussi, pour un temps, abandonne la peinture. Les autres, Botticelli en tête, le plus passionné de tous, Pérugin, Lorenzo di Credi, Andréa della Robbia, Ferrucci, Baccio di Montelupo, A. Sansovino, Giovanni della Carniole, le graveur Baccio Baldini, humiliés aussi devant le réformateur, continuèrent, néanmoins, à travailler, mais dans d’autres sentimens.

L’entraînement et la séduction étaient si grands que les artistes, dépouillant tout amour-propre et souci de gloire, furent les premiers à sacrifier leurs propres œuvres, lors des deux autodafés du carnaval, en 1497 et 1498. Le bûcher monumental sur lequel s’opéra le Bruciamento delle Vanità se dressa, chaque