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fois, sur la place de la Seigneurie. Le matin, une procession d’enfans passait, dans les palais et maisons, faire la quête de ces vanités. Il y en avait sept catégories : 1° vêtemens impudiques ; 2° statues et tableaux indécens ; 3° cartes, dés et autres jeux de hasard ; 4° instrumens de musique lascive ; 5° objets de toilette ; 6° livres obscènes et galans ; 7° masques, déguisemens et autres accessoires de bals et de fêtes. Les objets maudits étaient ensuite rangés sur les sept estrades du bûcher. Un grand nombre d’ouvrages plus précieux que scandaleux, d’un caractère simplement profane, furent sacrifiés, pêle-mêle, avec les impuretés notoires, dans cet élan tumultueux de réaction irréfléchie. Les arts, néanmoins, par une heureuse et naturelle contradiction, jouaient toujours le rôle principal dans ces fêtes iconoclastes. Jamais on n’avait déployé plus d’imagination et de pompe dans l’organisation des processions costumées, des représentations de mystères, des tableaux vivans d’allégories, des orchestres et chants religieux. Chaque compagnie de quartier exhibe ses patrons, « les douze apôtres, en relief, travail admirable, portés par quatre adolescens en costumes d’anges » ou bien « une Assomption sculptée, très belle. » Le plus grand succès fut pour une statuette de Donatello, « un très dévotieux Bambino, droit sur un piédestal d’or, d’une beauté stupéfiante. » Au même instant, des artistes en renom, Baccio della Porta et Lorenzo di Credi, apportent eux-mêmes au bûcher leurs études de nu et leurs compositions profanes.

Chez tous leurs confrères l’influence de Savonarole se manifeste vite et dans le choix des sujets et dans la façon de les présenter. Les épisodes de l’Evangile les plus tristes et dramatiques redeviennent à la mode. On ne vit jamais tant de Descentes de Croix, Mises au tombeau, Lamentations autour du cadavre, Vierges de piété, représentées par des personnages si émus, si pieux et si tendres. C’était pour ces scènes funèbres, dans la Florence meurtrie et repentante, la même passion que, naguère, dans la France ensanglantée par ses discordes civiles et piétinée par les envahisseurs étrangers, où devait subsister longtemps encore, durant sa rapide régénération, l’amer souvenir de ces douleurs. Depuis cette pathétique Mise au tombeau, si mouvementée et si poignante, de Botticelli (musée de Munich) et la Pietà si noblement résignée de Pérugin (musée de Florence) jusqu’au groupe célèbre de Michel-Ange à Saint-Pierre de Rome, quelle