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série exemplaire de variations sur le même motif exécutées en Toscane ! De même aussi qu’en France, durant nos grandes calamités, sous Charles VI et Charles VII, les populations, affolées et désespérées, se plaisaient aux spectacles ironiques et vengeurs de la Danse des morts, les Italiens, désillusionnés et exaspérés, en présence de tant de corruptions et de hontes, réclamaient, à leur tour, la Justice divine, la Justice infaillible et implacable, et les Jugemens derniers, cette obsession constante, du moyen âge, reparaissent, avec leur mise en scène terrifiante, dans les imaginations et sur les murs des églises.

L’exaltation fanatique qui bouleversait la vie florentine était trop violente et trop absolue pour durer longtemps. Comme tous les apôtres d’un idéal moral et social trop pur et trop parfait pour s’adapter aux exigences fatales de la nature humaine Savonarole tomba vite du piédestal où l’idolâtrie populaire l’avait élevé. L’épopée triomphale s’acheva en lamentable tragédie. Le Prophète, assiégé dans son couvent, emprisonné et torturé, fut enfin brûlé vif devant le Palais-Vieux, le 23 mai. 1498. Comme d’habitude, la foule fut aussi ignoble dans sa vengeance qu’elle avait été imprudente dans son adoration. « Le bourreau, dit un témoin, se livra à des bouffonneries sur le cadavre qui se débattait encore. » L’horreur de ce supplice abject hanta longtemps les imaginations florentines. Longtemps aussi les querelles des Piagnoni (Pleureurs) et des Arrabiati (Enragés), ensanglantèrent les rues et troublèrent les familles. Les artistes, restèrent les plus fidèles au souvenir du réformateur immolé.

Botticelli, surtout, s’enfonça de plus en plus dans ses visions mélancoliques ou tragiques. Mais, s’il est vrai que, durant ses dernières années, pauvre et infirme, survivant démodé et raillé de deux générations diversement passionnées, il cessa tout travail, ce ne fut pas sans avoir fait à l’art un adieu glorieux et touchant. Rien de plus poétique, rien de plus émouvant, que cette admirable composition historique et symbolique de la Nativité, peinte en 1500 (signée et datée en grec), deux ans après la mort de Savonarole. Jamais il n’avait agenouillé, devant une Vierge si émue, des rois plus humiliés et des pasteurs plus naïfs ; jamais il n’avait fait, au-dessus de la masure illuminée par l’Enfant Dieu, danser et se dérouler, d’une allure si allègre et si sereine, la ronde juvénile des anges sourians. Quelle derrière étreinte dans une résignation extatique, de cette Beauté