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intelligente et sensible, qu’il avait toujours poursuivie ! Et comment ne serait-on pas ému de sa gratitude opiniâtre, rebelle à tous les oublis, résistante à toutes les insultes, lorsqu’on reconnaît dans les Élus rassurés qu’accueillent les anges sous des embrassemens énergiques, les deux patrons successifs qu’il avait tant aimés, Laurent de Médicis et Savonarole, les deux inspirateurs de son œuvre, le païen et le chrétien, réconciliés dans le pardon divin ?

A l’heure où Botticelli peignait ce testament, deux de ses amis, loin de Florence, Luca Signorelli, à Orvieto, Léonard de Vinci à Milan, tous deux grands esprits et grandes âmes, tous deux fortement pénétrés par les graves idées de Savonarole sur la dignité de l’Art, proclamaient aussi, définitivement, par la Cène et le Jugement dernier, l’union désormais indissoluble de la Beauté antique et de la Beauté moderne, de la Beauté physique et de la Beauté morale, dans l’expression harmonique des caractères généraux et des sentimens permanens de l’humanité. Tous les principes d’observation exacte, d’étude attentive, de vision sincère, qui avaient fait la force des naturalistes, étaient condensés dans ces mâles compositions qui résument tout l’effort du XVe siècle. Le ton était donné, désormais, à tous les peintres d’histoire et de figuration monumentale. Toute la grande génération qui va illustrer à Rome, à Venise, à Parme, dans un triomphe incomparable, la première moitié du XVIe siècle, Raphaël, Titien, Corrège, comme à Florence, Fra Bartolomeo et Andréa del Sarto, sortira de cette rénovation décisive, de cette forte réaction intellectuelle et imaginative. La Renaissance de l’art, compromise un instant par les entraînemens de la pratique scientifique et du dilettantisme mondain, le pédantisme et le maniérisme, a repris, décidément, sa marche régulière sur une route plus large et plus libre.

Celui de tous, pourtant, qui devait conserver et développer jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes, l’esprit de Savonarole, fut Michel-Ange. Il avait quatorze ans, lors des premières prédications, vingt-trois lors du supplice, l’âge où l’on est fortement, et pour la vie, pénétré par de telles émotions. Dès lors, la Bible et l’Évangile, la Bible surtout avec Dante, furent ses conseillers fidèles. Les inquiétudes sublimes, qui ne cesseront d’agiter, jusqu’à la mort, dans une aspiration anxieuse et héroïque pour la Vérité et la Beauté, son génie insatiable de