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grands sacrifices d’amour-propre sont seuls propres à développer de grands mérites…


I. — MADEMOISELLE DE MARIGNANE

Un ciel d’un azur presque immuable, mais parfois cruel à force d’éclat ; un air subtil ; un climat inégal et un peu traître, que règlent d’ailleurs les violentes fantaisies de la Méditerranée et du mistral ; une campagne mouvementée et pittoresque, où s’imprime en belles lignes l’aride et fin caractère des paysages de l’Attique ; une terre recuite et maigre, couleur de la brique pulvérisée, que des rochers couleur de la lave figée percent de toutes parts, et qui nourrit pourtant en abondance, on ne sait de quoi, la vigne et l’olivier, de grands bois et une flore chargée d’odeurs ; un peuple nativement déluré, gai et porté à bien vivre, mais rusé, envieux et processif, républicain de constitution et d’esprit, et ne souffrant l’autorité qu’à la condition d’en renouveler sans cesse les dépositaires ; une aristocratie nombreuse, opulente et antique, mais née peut-être dans la poudre des greffes plutôt que sur les champs de bataille, cérémonieuse, arrogante, prétentieuse, devant laquelle le roi de France n’était que le comte de Provence ; et pour capitale à ce pays si analogue à la patrie du retors et beau parleur Ulysse, une ville peu dense, mais seigneurieuse, toute bâtie en pierre de taille, pleine d’une multitude d’hôtels privés aux belles portes et aux façades régulières et hautaines, percée de rues commodes, ornée enfin d’un Cours magnifique, de places ombragées, de fontaines monumentales, d’édifices attestant la puissance romaine qui les fonda, — la ville du bon roi René, « grande comme une tabatière, » disait le marquis de Mirabeau, « tout à fait jolie et la plus jolie après Paris, » écrivait le président de Brosses, qui s’émerveillait de la voir traversée à journée faite par « quantité de chaises à porteurs, toutes dorées, armoriées et doublées de velours, » — tel fut le milieu qui vit s’écouler la vie presque entière de Marie-Marguerite-Emilie de Covet de Marignane, future comtesse de Mirabeau, née à Aix le 3 septembre 1752. Elle y fut baptisée le même jour en l’église paroissiale de Saint-Jérôme, vulgairement dite du Saint-Esprit, déjà vénérable, quoique la bâtisse en fût vieille à peine d’un demi-siècle.