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de la même manière, » c’est ce qui était plus paradoxal ; et, pour notre part, c’est ce que nous refusions d’accorder à M. Félix Rocquain.

L’une des raisons de notre résistance était alors, et elle est toujours, que nous croyons au pouvoir des idées. Or, si l’on tirait de la thèse de M. Rocquain tout ce qu’elle contenait de conséquences, la dernière où l’on aboutissait, c’était la négation du pouvoir des idées dans l’histoire ; et on le voyait bien, quelques années plus tard, quand M. Emile Faguet reprenait et traitait à son tour le sujet. « Les principes de 1789, disait-il à ce propos, il n’y en a pas… Les hommes de 1789 n’ont pas plus songé à la liberté qu’à l’égalité… Ceux qui ont rédigé les cahiers mouraient tout simplement de faim, et désiraient cesser de mourir… La Révolution Française, dans les vœux des hommes qui l’ont commencée, aussi bien que dans les résultats par où elle a fini, c’est une révolution purement économique et administrative. » Et, de fait, si quelqu’un ne croit pas que « les idées mènent le monde, » c’est M. Emile Faguet. Les « philosophes » du XVIIIe siècle ne sont point à ses yeux les ouvriers de la Révolution, parce que les événemens de la Révolution, ceux qui font la trame de son histoire, ne se sont pas développés dans le même ordre de choses, au même étage intellectuel, si je puis ainsi parler, que les spéculations des « philosophes. » Ce qui revient à dire, en termes généraux, que ce ne sont pas les « idées » en ce monde, qui « déterminent » le cours des faits ; la vraie cause des faits est située plus profondément dans la réalité ; et d’ailleurs, il faut prendre un égal intérêt à l’histoire des idées et à l’histoire des faits, mais il ne faut pas cependant les rendre solidaires l’une de l’autre, et, tout en notant qu’elles ont eu quelquefois des « points de contact, » il ne faut surtout pas les traiter comme étant en réalité dans la dépendance l’une de l’autre.

Telle n’est pas l’opinion de M. Marius Roustan, professeur au lycée de Lyon, dans le livre très intéressant qu’il nous donne sur les Philosophes et la Société française au XVIIIe siècle, et qui est, disons-le tout de suite, sur un sujet qu’on eût pu croire épuisé, l’un des livres les plus neufs que l’on puisse lire. On n’y trouvera, je pense, rien d’« inédit, » et je serais vraiment tenté d’en féliciter l’auteur. S’il y manque un chapitre sur les Philosophes et l’Académie française c’est que M. Lucien Brunel a