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jadis écrit sous ce titre un livre tout entier. Si l’on est un peu désappointé de ne pas y trouver un autre chapitre, sur les Cafés Littéraires et les Philosophes, c’est que M. Marius Roustan en a lui-même déjà fait tout un volume, que nous attendons avec impatience. Il y a d’ailleurs, dans ce gros livre de 450 pages, de la verve, de l’éclat, du brillant, de la belle humeur. Et il y a enfin une intention qui en relie toutes les parties, et qui est justement d’éclairer, par le moyen d’une rigoureuse enquête, ce qu’il y a de plus obscur dans ce problème de l’action des « idées » sur les « faits. » Pour montrer comment et jusqu’à quelle profondeur la pénétration s’est opérée, M. Marius Roustan s’est avisé tout naïvement d’étudier les « philosophes » dans leurs rapports avec le Pouvoir, avec les Favorites, avec la Noblesse, avec les Magistrats, avec les Financiers, avec les Salons, avec la Bourgeoisie et avec le Peuple. Nous nous contenterons ici de retenir ce qui regarde plus particulièrement les rapports des « philosophes, » avec le Pouvoir, avec les Salons, et avec le Peuple.


I

Voltaire à la Bastille ! Diderot à Vincennes ! Helvétius obligé de faire « amende honorable ! » Rousseau décrété de prise de corps, fuyant en hâte vers la frontière, et son Emile brûlé de la main du bourreau ! — ; ce sont encore aujourd’hui les traits dont beaucoup d’historiens se servent pour caractériser les relations des « philosophes » avec le Pouvoir ; et ce sont des traits « authentiques. » Il n’y a rien de plus certain que les emprisonnemens de Voltaire, et nous avons le texte de la condamnation du livre d’Helvétius. Attaqué par les « philosophes, » le Pouvoir a essayé de se défendre, et il l’a fait comme on le fait quand on croit avoir pour soi la justice parce qu’on a la force : grossièrement, brutalement, et sans plus de remords de sa brutalité que de doutes sur son droit. Mais ce n’est là cependant qu’un aspect des choses, et nous nous méprendrions sur la tactique de nos « philosophes, » autant que sur le caractère personnel de quelques-uns d’entre eux, si nous persistions à ne les voir que dans ce rôle et sous cette figure d’éternels opposans. La réalité est tout autre.

Dirai-je que, pour la reconnaître et s’en rendre compte, il