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faudrait remonter jusqu’à la Renaissance ? Ce serait effrayer inutilement le lecteur, et on sait assez que les raisons de « tout » ce qui arrive, sont contenues dans « tout » ce qui l’a précédé. Mais si l’on veut bien se rappeler la protection, capricieuse et précaire, accordée non seulement à la « littérature, » mais même à la « philologie, » par François Ier et Marguerite d’Angoulême, sa sœur ; si l’on se rappelle également l’intérêt qu’un prince tel qu’Henri III a pris aux travaux d’un Henri Estienne, et notamment à sa Précellence du langage français ; si l’on se rappelle encore de quelle ardeur, et non pas précisément avec Chapelain et Conrart, mais en dépit d’eux, Richelieu a travaillé à la fondation de l’Académie française ; et enfin, si l’on se rappelle comment Louis XIV lui-même a entendu la protection des gens de lettres, — je veux dire, d’une manière plus universelle et plus cosmopolite que pas une Académie depuis lui, — on verra clairement qu’en France, depuis la Renaissance, la défiance du Pouvoir envers la « littérature » ne s’est jamais distinguée d’une vague intention de se l’inféoder pour mieux l’annuler. Et d’un autre côté, si l’on songe avec quel empressement les gens de lettres, depuis Clément Marot, ont répondu à ces « avances » ou à ces intentions de la royauté ; si l’on considère de quelles flatteries, dont l’énormité nous scandalise ou nous amuse encore, ils les ont payées ; si l’on considère le prix souvent exorbitant que quelques-uns d’entre eux, et non les moindres, ont attaché aux « suffrages de la Cour, » c’est-à-dire du Roi,


Principibus placuisse viris non ultima Iaxis est ;


on se convaincra que, deux siècles durant, aux « intentions » du Pouvoir ont répondu les « aspirations » en quelque sorte les plus intimes de la littérature, et on ne s’étonnera que d’une chose, qui est que l’alliance, plusieurs fois ébauchée, ne se soit pas enfin contractée, conclue et scellée.

On s’en étonnera bien plus encore si l’on fait attention quel admirable terrain d’entente ou d’accord les « philosophes » avaient choisi, et, avant les « philosophes, » les grands libertins du XVIIe siècle, ou encore avant eux, et déjà, les « humanistes » de la Renaissance. Il y avait dans le monde une puissance dont les principes, — disons, si l’on le veut, les prétentions, — gênaient alors presque également les ambitions des royautés modernes en formation, et l’émancipation de la « libre