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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/623

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saurait mieux caractériser le genre de services rendus par « les salons du XVIIe siècle. » Le théâtre de Corneille exprime l’idéal de l’hôtel de Rambouillet, et, en même temps qu’un « idéal d’art, » si cet idéal est un « idéal moral, » voilà déjà bien des raisons, littéraires et impersonnelles, de nous intéresser particulièrement aux salons du XVIIe siècle. Ils se sont ouverts aux gens de lettres à une époque, et dans le temps précis où l’on eût pu se demander, non sans quelque inquiétude, si la « littérature » n’allait pas dégénérer, avec l’école de Mathurin Régnier, par exemple, en une espèce de « bohème ; » — ils ont dirigé l’observation des auteurs dramatiques et des romanciers vers l’analyse ou l’anatomie de ces « passions de l’amour » qui seront toujours, quoi que l’on en puisse dire, la matière préférée de la fiction romanesque ou poétique ; — et de cette anatomie des « passions de l’amour, » ils ont essayé de tirer des « cas de conscience, » des « règles de conduite, » et un « idéal de vie, » qui gouvernât même les autres passions.

Je n’ai pas les mêmes raisons, je veux dire que l’histoire littéraire n’a pas les mêmes raisons de s’intéresser aux salons du XVIIIe siècle.

Une opinion de Mme de Rambouillet ou de Mlle de Scudéry sur l’amour m’intéresse, parce que Mlle de Scudéry et Mme de Rambouillet sont des femmes, qui parlent de ce qu’elles savent ; mais qu’ai-je à faire de l’opinion de Mme de Tencin sur « le pouvoir de la vertu dans les républiques, » ou de celle de Mme Geoffrin sur « la liberté du commerce des grains ? » Ces dames sont incompétentes, et elles auraient « étudié » la question, comme l’abbé Galiani s’imaginera l’avoir fait, qu’elles le seraient encore, comme il l’est, parce qu’il ne suffit pas d’avoir « étudié » ces questions, mais il faut les avoir « vécues. » Et, au fait, d’une manière générale, la conversation chez Mme Geoffrin, comme chez le baron d’Holbach, paraît avoir été le triomphe de l’universelle incompétence. C’est ce qui me déplaît d’abord des salons du XVIIIe siècle. Ils ont parlé sans savoir, et même en se faisant de leur ignorance un principe d’originalité. Tels de nos jours ces romanciers, qui n’ont jamais lu Balzac ni George Sand, de peur d’éprouver la tentation de les imiter. Ils ont créé l’art de parler avec esprit des choses que l’on ne connaît pas, et de trancher les questions les plus difficiles au moyen d’un bon mot et souvent d’une « arlequinade. » Je ne vois pas d’ailleurs quel