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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/724

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cette tâche avec leurs seules forces, on peut considérer qu’elles ont un mandat moral de ménager la transition et d’en remplir l’intervalle. Tel paraît bien avoir été le sentiment général. Tel a été celui de la France et de l’Espagne elles-mêmes, puisqu’elles ont pris l’initiative dont l’envoi de leurs navires est en ce moment la manifestation éclatante. Mais il est bien entendu que le mandat qu’elles remplissent ne saurait, en cours d’exécution, changer de caractère. Il s’agit, il ne s’agira jusqu’au bout que d’une opération de simple police, et d’une opération provisoire. La première besogne faite, et dès que la police régulière aura été organisée, la France et l’Espagne s’empresseront de retirer leurs troupes, et de laisser aux forces chérifiennes le soin de maintenir et de continuer ce qu’elles auront commencé. Elles n’ont pas reçu, à Algésiras, un mandat qui s’étende à l’ensemble du Maroc : c’est seulement dans quelques ports de mer qu’elles en ont un. A Tanger notamment, la ville seule et sa banlieue immédiate sont en cause. Nous ne sommes pas sans appréhensions sur ce qui risque de se passer dans le reste du pays. Lorsqu’un corps est affecté d’une maladie organique, les mêmes manifestations morbides se produisent partout. Il y a plus d’un Raissouli au Maroc. Mais nous n’avons charge que d’un seul, et si nous acceptons d’y faire face, c’est pour sauver Tanger, ville cosmopolite où toutes les grandes nations du monde ont des intérêts, des nationaux et des agens, d’un péril qui n’est que trop réel. Peut-être l’a-t-on déjà laissé croître plus qu’il ne l’aurait fallu.

Nous sommes sûr que le ministère actuel maintiendra notre intervention, si elle doit se produire, dans des limites étroites. M. Clemenceau s’est montré constamment hostile, avant d’être ministre, à ce qu’on a appelé la politique marocaine : il n’a certainement pas changé d’avis aujourd’hui qu’il a la lourde responsabilité du pouvoir. Mais cette responsabilité est double. Si elle consiste à ne pas s’engager au Maroc au-delà du strict nécessaire, elle consiste aussi à prendre les mesures indispensables pour remplir les obligations que nous avons contractées. Et sans doute nous ne ferons rien de moins ; mais ce que nous venons de dire sur la situation générale est une garantie que nous ne ferons certainement rien de plus.


FRANCIS CHARMES;


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.