Le plan de ce travail m’interdisait toute discussion littéraire de l’œuvre de George Eliot. Sur ce point d’ailleurs je n’aurais eu qu’à redire ce qui a été dit ici même dans ces belles études d’Émile Montégut, dont la première fit tant de plaisir à George Eliot[1], et dans un travail plus récent auquel la critique anglaise elle-même nous renvoie. Qu’on me permette seulement de remarquer comment les conclusions auxquelles nous arrivons par une tout autre voie se soudent exactement à celles de ce chapitre du Roman naturaliste qui ramenait aussi à la sympathie l’œuvre et le talent de George Eliot. Ce n’est pas non plus le lieu de marquer les limites et les insuffisances de la religion qu’on vient de décrire. « Cette foi de Romola dans la bonté, dans le sacrifice, a dit Hutton, cet amour des petits enfans… tout cela serait un pauvre rêve s’il n’y avait pas un Christ éternel pour donner une réalité et une vie à ces fantômes. » Ne serait-il pas plus juste de montrer comment cette doctrine n’est qu’un rayonnement de l’Évangile ?
L’histoire des Pères du désert nous a conservé la réponse mémorable que fit un jour le saint abbé Pœmen à quelques-uns de ses disciples. Ceux-ci lui avaient demandé : « Quand nous voyons des frères sommeiller au temps de la prière, ne devons-nous pas les secouer pour les tenir éveillés ? » Pœmen se défendit de résoudre au pied levé un cas de conscience aussi difficile. Il dit simplement : « Pour moi, quand je vois un frère ainsi accablé de sommeil, je voudrais attirer sa tête sur mes genoux pour l’y faire reposer. » C’est là, en deux mots, toute la doctrine morale, toute la religion de George Eliot.
- ↑ Voyez, dans la Revue du 15 juin 1859, l’article d’Émile Montégut sur Adam Bede, et son étude d’ensemble, postérieure à la mort de George Eliot, dans la Revue du 1er et du 15 mars 1883.