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généralités ! Il feint d’en prendre aisément son parti, il s’en tire par une pirouette, il « tourne au large, » l’expression revient une fois de plus, — lui sempre ha girato largo. Il a le temps : il lui suffit que les Florentins ne puissent faire contre lui acte d’hostilité, par égard pour la France, par crainte ou par haine de ses ennemis, par suite de leur propre faiblesse. Mais le temps viendra où Florence devra se décider, et ce temps sera venu, — le perspicace secrétaire en avertit la Seigneurie, en s’excusant toujours humblement de l’audace grande, — lorsque César aura mené à bien l’entreprise de Sienne, s’il y réussit.

Au reste, pour si douces que continuent d’être les paroles, la voix n’a plus le même accent. On devine que plus que jamais il a, comme il le disait volontiers, « une suprême confiance dans la Fortune, » qui vient de lui être si propice. Le joueur forcené qu’il est au « jeu de ce monde » a le sentiment très vif qu’il joue avec la chance. César fait le duc, le prince, le demi-roi ; il se redresse et toise le voisin : — Eh ! quoi, la Seigneurie ne l’a ni félicité, ni fait féliciter ! Il s’en étonne. Et peu à peu le diapason s’élève : il dit tout franc à présent : « mon État, stato mio » (ce n’est plus seulement la Romagne, par opposition aux terres de l’Eglise ; le duc se garde d’en circonscrire les limites). Il prise et estime Florence, parce que Florence lui paraît être « un des premiers fondemens, » — la pensée qui le hante et l’obsède ! — de son État en Italie. A la Seigneurie, dont il est l’ami, il n’a rien à cacher. Elle sait où il en est avec leurs ennemis communs, où sont les collegati de la Magione, morts, fugitifs, ou assiégés dans leurs repaires. Reste Pandolfo, qui sera « leur dernière fatigue : » — il ne dit pas sa, il dit leur, comme pour les engager en sa compagnie. — Celui-là a de la cervelle, il a de l’argent, il est au centre de l’action : ce sera, « si on le laisse sur pied, une étincelle à faire craindre de grands incendies. » Il faut l’assaillir de concert, totis viribus, et tout de suite, fondre dessus. L’expulser de Sienne n’est rien ; César voudrait l’avoir entre les mains. A cet effet, « le Pape s’ingénie à rendormir avec des brefs… Pendant ce temps, je m’avance avec l’armée, car il est bien de tromper ceux qui ont été les maîtres des trahisons. »

Le père et le fils sont là-dessus du même avis, car là-dedans la complicité d’Alexandre VI est plus que passive : les deux Borgia travaillent l’un pour l’autre : « Le Pontife, écrit Guichardin, au sujet de l’affaire de Sinigaglia, avait plaisanté