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situation géographique et à la courageuse initiative de ses habitans, était devenue le centre d’un mouvement d’expansion, dont Descartes, qui l’habita de 1629 à 1632, nous a, dans une lettre du 16 mai 1631, écrite à Balzac, laissé un témoignage. M. Emile Michel constate que son succès y fut grand et que, tandis qu’il n’avait pu peindre qu’une dizaine de portraits en 1632, on en compte plus d’une quarantaine de 1633 à 1634. « Nous pouvons le suivre dans toutes les manifestations de son génie jusqu’à la plus haute : les Syndics, en 1661, et à sa mort qui survint le 8 octobre 1669, après des années tristes, difficiles, fort délaissées, où accablé par la misère, la vente de ses collections, ébranlé par des deuils répétés, le maître ne tardait guère à rejoindre son fils Titus dans la tombe. Dans cette magistrale étude, M. Emile Michel analyse et commente toutes les œuvres de Rembrandt dont il fait comprendre la gloire un peu cabalistique et l’étonnante renommée. Il a plus que personne contribué à dissiper quelques-uns des doutes qui subsistaient à propos d’un de ses plus célèbres tableaux et modifié les idées au sujet d’une œuvre qui a déjà suscité tant de controverses.

On sait que Fromentin, en parlant de la Ronde de nuit, avait, entre autres critiques, démontré que, « considéré comme représentation de scènes réelles, le tableau s’expliquait mal, » et, guidé par sa vision de grand artiste, il avait eu l’intuition que le tableau restait imparfait. Or, le reproche qui a été fait sur sa composition « remplie et bondée à l’excès, sans aucun repos pour le regard, trop à l’étroit dans son cadre et comme pressée jusqu’à en sortir » ne repose sur aucun fondement, et les défauts que présente aujourd’hui cette grande toile ne sont, à aucun degré, imputables à Rembrandt. Dans son état primitif, son œuvre en était exempte ; et seules les mutilations qu’elle a subies en sont la cause. M. le docteur J. Dyserinck a fait connaître l’époque où fut commis cet acte de vandalisme : lors de la translation en 1715 de la salle du Dœlen pour laquelle elle avait été exécutée et exposée dès 1642, à l’hôtel de ville d’Amsterdam. La copie faite par Gerrit Lundens, contemporain de Rembrandt et qui appartient aujourd’hui à la National Gallery, permet d’évaluer la dimension des bandes rognées à la toile de Rembrandt, 0, 67 sur la longueur et 0, 26 sur la hauteur. Le tableau était donc mieux équilibré et suivant un rythme plus harmonieux. Depuis le nettoyage effectué en 1889, le tableau a repris un éclat surprenant qui facilite le rapprochement et permet de revenir sur les critiques formulées. C’est ce qu’a fort bien fait ressortir M. Emile Michel.

On admirera dans cette édition du tri-centenaire le choix des