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laquelle il espère faire entrer ses 10 000 volumes. Il était alors doyen de la faculté et « nos messieurs, écrit-il, disent que je suis le mieux logé de Paris. »

Ce n’était pourtant pas la richesse. Le médecin de ce temps-là faisait ses visites à mule. Guénaut prétendit faire les siennes à cheval. Cela fit du bruit et choqua.


Guénaut, sur son cheval, en passant m’éclabousse,


dit Boileau ; mais ce praticien, recherché dans sa toilette autant que solennel dans son débit, n’aurait pas osé dépouiller la tenue sacramentelle : grande perruque, chausses rouges, longue robe et rabat, — « qui pourrait, remarque Pascal, avoir confiance en un médecin qui ne porte point de rabat ? » — j’allais oublier la barbe, qu’il lui seyait de porter aussi ample que nature le permettait ; car « la barbe, comme dit Toinette à Argan, fait plus de la moitié d’un médecin. » Plus tard, ce fut le contraire et le bon ton voulut, jusqu’au milieu du XIXe siècle, que le médecin fût exactement rasé, suivant les rites du système pileux, aujourd’hui abolis, qui interdisaient les favoris aux militaires et les moustaches aux avocats.

Sous Louis XV, à Paris, le grand seigneur courait à six chevaux, ventre à terre, comme en rase campagne ; mais le médecin, en habit noir, roulait carrosse. Sa situation sociale avait grandi ; Vicq d’Azyr, dans les salons, partageait la faveur des encyclopédistes.

Quant au médecin de cour, son élévation et sa chute tenaient l’une et l’autre à fort peu de chose. Sous Louis XIII, Vautier, pauvre garçon domestique d’un cordelier nommé le Père Crochard, était devenu « médecin du commun » chez la Reine mère, à 2 130 francs de gages annuels.

Seul avec elle, en l’absence de son docteur ordinaire, il la guérit d’un érysipèle et fut aussitôt gratifié des premiers postes dans sa maison. Mais ces bonnes grâces de Marie de Médicis lui valurent, au lendemain de la journée des Dupes, d’être mis à la Bastille où il passa douze ans. Sorti de prison en 1643, il put encore occuper, dix années durant, la charge de médecin de Mazarin où il s’enrichit. Moins heureux que lui, un autre médecin de Louis XIII, pour avoir été trouvé porteur d’un « horoscope, » fut envoyé aux galères et n’en revint pas.