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imagination les imaginations enfantines s’éveillent et tressaillent, là-bas, dans son pays.

Dans l’éclat de sa gloire d’historien, se souvient-il encore des aspirations d’un autre ordre auxquelles, en 1874, s’abandonnait sa vingt-huitième année ? Il publiait cette année-là, avec une de ses parentes, une Anthologie belge ; il ne visait à rien de moins, — sa préface en témoignait, — qu’à « tirer les lettres belges de leur assoupissement… Oui ou non, demandait-il, aurons-nous une littérature nationale, expression de notre pensée nationale ? Ou bien le peuple belge traversera-t-il l’histoire sans que nul monument littéraire apprenne à la postérité que lui aussi a vécu, souffert, pensé, et levé ses yeux plus haut que la terre et que les soucis de la vie positive[1] ? » Je n’oserais affirmer qu’en 1874 la voix du jeune professeur fut entendue ; et lui-même, renonçant bientôt à l’essai qu’il projetait sur les lettres belges, fit à l’histoire vœu de fidélité.

Mais, quelques années plus tard, l’efflorescence littéraire de la Jeune Belgique, exposée dernièrement au public français par le critique délicat et renseigné qu’est M. Eugène Gilbert, commençait de justifier et d’exaucer tardivement les juvéniles aspirations de M. Godefroid Kurth. Il est permis de penser que, parmi les œuvres littéraires dont s’honore à bon droit la Belgique contemporaine, les plus originales et les plus éminentes sont celles qui s’imprègnent de la saveur du terroir et de la senteur du passé, et qui surprennent, dans les accens séculaires des vieux beffrois, les échos amortis des croyances et des passions de jadis. Mais si cela est vrai, si ce qui fait le prix de beaucoup d’œuvres littéraires, sur les bords de l’Escaut ou de la Meuse, en est le caractère indigène et traditionnel, historique et terrien, l’on peut dire que M. Godefroid Kurth, par sa vie de travail, de rêve et de prière, par l’assimilation constante de son âme à l’âme héroïque des grands âges chrétiens, et par l’élan vigoureux dont lui sont redevables les études d’histoire nationale, a largement contribué à préparer aux littérateurs une somptueuse matière d’art, la plus précieuse peut-être qu’ils pussent souhaiter.


GEORGES GOYAU.

  1. Anthologie belge, par Amélie Struman-Picard et G. Kurth, p. 6 (Bruxelles, Bruylant, 1874).