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et le Cerizet de Balzac pâlissent à côté de ces ignobles usuriers du prolétariat maritime.

D’après une statistique du docteur Mével, L’augmentation des cabarets, de 1889 à 1899, aurait été de 43 à Douarnenez, de 35 à Concarneau, de 16 à Audierne. Douarnenez, Concarneau et Audierne sont les trois principaux ports sardiniers bretons. En dix ans aussi, la consommation de l’alcool pur aurait augmenté de près d’un quart dans les deux premiers de ces ports et ne serait restée à peu près stationnaire qu’à Audierne, où il lui était difficile d’augmenter, ayant atteint, dès 1892, 19 lit. 45 par habitant. Je renvoie à l’émouvante thèse du docteur Mével[1] le lecteur que ne laissent point indifférent les progrès de l’alcoolisme chez les pêcheurs sardiniers : il y verra que le fléau n’arrête point ses ravages aux pêcheurs et qu’il a sa répercussion douloureuse sur la race, sur ces tristes « enfants du samedi, » comme on les appelle, voués à la scrofule, au rachitisme et à toutes les dégénérescences. Diminution dans la natalité, augmentation dans la mortalité des enfants de 0 à un an, augmentation parallèle du chiffre des réformés, au point que la moyenne des dix dernières années est deux fois plus forte que celle des dix années précédentes, voilà les effets de cette triste incurie de l’État à l’égard de nos populations maritimes et en particulier de cette funeste loi sur la liberté du commerce des liquides qui a été le signal de notre décadence physiologique.

Et, il faut bien le reconnaître, dans cette décadence, les usiniers et les mareyeurs, en ce qui regarde au moins les pêcheurs de la côte bretonne, pouvaient revendiquer jusqu’ici une assez large part de responsabilité. Leur rôle n’était pas moins démoralisateur que celui des aubergistes, et il n’avait pas, comme lui, l’excuse de l’ignorance. Usiniers et mareyeurs avaient pris la funeste habitude, « connaissant la propension du marin sardinier pour l’alcool, de se faire concurrence, non à coups de pièces d’argent, mais à coups de chopines et de bouteilles d’eau-de-vie. » Par exemple, un bateau sardinier était-il en vue ? Du plus loin que leur voix portait les usiniers ou leurs « commises » lui jetaient un prix : « 5 francs, disait l’un. — Et une chopine ! criait un second. — 5 fr. 25 ! criait un troisième — 5 francs et deux chopines ! » reprenait le premier. Ils ne criaient même pas

  1. Cf. L’Alcoolisme chez le pêcheur breton.