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moins un roi que de retrouver des prêtres, des processions et des cloches. » Le commissaire de la Nièvre a vu, parmi ses paysans, « tel homme qui est d’un fanatisme outré et qui ne voudrait pas le retour de l’ancien régime. » Le commissaire du Tarn écrit : « Beaucoup de gens tendent à la royauté par horreur de l’irréligion républicaine, » et, signalant l’état d’esprit de la population agricole, il ajoute : « De là sa tendance irréfléchie vers la royauté qu’elle n’aime ni ne désire sincèrement. » Le commissaire du Nord écrit crûment : « Plus je parcours le département, plus j’aperçois que l’esprit public est subordonné aux préjugés religieux. Rendez les crucifix, les cloches, les dimanches et surtout ceux qui vivent de ces momeries, et tout le monde criera : Vive la République ! » Les croix, les églises, les prêtres, les autels, qui les rendrait ? Comme un grand nom s’imposait à l’imagination publique, comme on parlait de l’expédition d’Egypte et de son chef prodigieux, le bruit courait, dans certaines campagnes, « que Buonaparte revenait en France avec sept mille prêtres pour remplacer ceux que le gouvernement a fait déporter. »

Bonaparte ne fut pas d’abord l’homme dont Boulay de la Meurthe avait annoncé la venue, et que le peuple attendait. Revenu d’Egypte, il fit son coup d’État de Brumaire à l’aide de révolutionnaires écœurés de l’anarchie directoriale et possédés de l’instinct reconstituant. Ces politiques voulaient que la République mieux conformée se fit ordre et gouvernement ; ils n’entendaient nullement la livrer aux factions de droite. Il ne faut jamais perdre de vue que le Consulat est à ses débuts ce que nous appellerions aujourd’hui un pur gouvernement de gauche. Les hommes qui avaient concouru à sa formation, assagis en politique, restaient foncièrement antichrétiens et rigoureusement philosophes. Ils représentaient l’orthodoxie rationaliste, qui avait son centre à l’Institut. Bonaparte lui-même faisait partie de ce grand corps et se donnait l’air de puiser auprès de ses confrères ses inspirations doctrinales. C’est avec des penseurs tels que Cabanis, Monge, Berthollet, Laplace, qu’il avait paru se composer après Brumaire un conseil spirituel. Seulement, si désireux qu’il fût de ménager les dogmes et les préjugés officiels, l’insigne chef de guerre voulait se faire avant tout le pacificateur des Français, le rassembleur de la nation affreusement déchirée.

Or, plus que toute autre, la question religieuse envenimait