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chose. Les individus adonnés aux professions libérales, dont nous allons pénétrer ici le budget, dépendaient étroitement par leur bourse de cette élite pécuniaire. Ils ne souffraient point de lui être domestiqués dans leurs intérêts, sinon dans leurs personnes, et le commun peuple leur donnait dans son esprit une place conforme à celle qu’ils occupaient dans la hiérarchie sociale.

Il s’est opéré de nos jours une disjonction absolue de ces biens et de ces forces autrefois associées : richesse, puissance et honneurs. Notre époque, où il y a plus d’argent aggloméré chez quelques-uns, est aussi celle où l’argent donne, à ceux qui le possèdent, le moins de pouvoir. Au cours du XIXe siècle, il n’y a pas eu de grands hommes d’Etat enrichis par la politique ; il n’y a pas eu de gros millionnaires portés au gouvernement par l’argent. Tel député peut vendre son vote, tel ministre jouer sur des nouvelles et tel président de la République mettre de côté pour sa famille ses frais de représentation ; ce sont là des grivèleries sordides, elles rapportent peu, elles déconsidèrent beaucoup. L’opinion les réprouve aujourd’hui, tandis qu’elle ne s’en choquait pas naguère.

Si le pouvoir ne donne plus l’argent, l’argent ne donne pas davantage le pouvoir. De richissimes entrés, grâce à leur fortune, dans les assemblées électives, il ne s’en voit, à droite ou à gauche, qu’un fort petit groupe ; beaucoup moins que de gens besogneux. Par contre, nombre de candidats millionnaires, aussi bien de gauche que de droite, échouent et, d’une manière générale, les postes officiels, grands ou petits, sont occupés par des gens médiocrement aisés.

Bien qu’il n’y ait plus en cette démocratie de privilèges de naissance, il subsiste encore des descendans de ces privilégiés. Or la Richesse a plus perdu à l’abolition de la Noblesse, que l’aristocratie elle-même. Turcaret ne peut plus acquérir à beaux deniers comptans un marquisat authentique, comme sous Louis XV ; tandis que le propriétaire d’un nom historique continue d’acquérir par contrat de mariage, comme sous Louis XV, les capitaux de Turcaret. Ici, les lois ont enlevé à l’or une capacité d’achat ; les mœurs ont conservé à la race une capacité d’échange.

L’Argent n’a même pas le privilège de se multiplier lui-même, je veux dire de créer la richesse. Il ne joue qu’un petit rôle