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Français combien sont imprudens et vils les tyrans qui les asservissent ? Qui les soulèvera contre cet odieux despotisme qui attente à la représentation nationale jusque dans son sanctuaire, qui met le Corps législatif sous le joug et le fait consommer tous les actes les plus tyranniques, qui frappe de déportation les députés les plus probes, les plus courageux, les plus éloquens, les plus chers à la nation, sans les accuser, sans les entendre, sans examen ; qui annule, par un acte de sa toute-puissance, tant d’assemblées primaires, tant d’électeurs dont la légitimité était authentiquement reconnue ; qui détruit enfin cette marotte philosophique des sociétés : la souveraineté du peuple, à laquelle trente millions d’hommes doivent la théorie de la liberté et la réalité de l’esclavage ? Voilà, monsieur le comte, une matière bien digne de votre plume énergique et profonde. Agréez les vœux que je forme pour vous voir la traiter. »


Quoique les protestations indignées du généreux et fougueux d’Avaray doivent à leur sincérité de n’avoir pas à souffrir d’être rapprochées de la prose mâle et vibrante de Joseph de Maistre, nous aurions hésité à donner ici le texte intégral de cette lettre si elle n’eût été la cause déterminante d’un malheureux incident[1] dont on va voir son destinataire narrer, en termes navrés, les douloureuses conséquences. Au moment où il achevait de l’écrire, d’Avaray n’avait pas encore reçu la lettre de change qu’il devait y insérer. Il ne voulut pas cependant retarder sa missive. Il la ferma après y avoir annoncé en trois lignes à son correspondant, pour une occasion ultérieure et prochaine, l’envoi d’argent qu’il était empêché de faire ce jour-là et l’adressa à M. Plenti, agent de la Cour sarde à Francfort, qui s’était chargé de faire passer à Turin les lettres de Louis XVIII. Enfin, quelques jours plus tard, il confiait la lettre de change à la même voie. Il devait donc supposer que ses expéditions étaient parvenues à leur adresse lorsque, le 30 décembre, la lettre suivante de Joseph de Maistre vint lui apprendre que celui-ci ne les avait pas reçues. On remarquera, parmi les plaintes qu’elle contient, la noblesse du refus que l’auteur oppose à l’offre de Louis XVIII.

  1. Il y a lieu de constater que dans l’introduction placée par le comte Rodolphe de Maistre, en tête de l’édition des Œuvres complètes de son père, il n’est fait aucune allusion à cet incident, pas plus, d’ailleurs, que dans les lettres imprimées. Ce fut, cependant, un gros événement dans la vie de Joseph de Maistre.