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« Voilà donc la Suisse perdue ! Elle pouvait périr plus noblement, il y a deux ou trois ans. Je ne suis pas moins infiniment attristé par les malheurs d’un pays où j’ai été comblé pendant quatre ans des bontés les plus délicates. Le correspondant de Lausanne s’en est allé je ne sais où. Si vous me faites encore l’honneur de m’écrire, ce sera, si vous le voulez bien, par le canal qui vous transmet cette lettre. Je m’appelle Jean-Jacques Durand, négociant. Il ne faut pas que les vôtres contiennent aucune désignation, et je ferai de même à l’avenir si vous le permettez. »


Cette lettre clôt définitivement la première période des relations de Joseph de Maistre avec la cour errante du roi de France. Plusieurs années s’écouleront avant qu’elles ne soient reprises. Louis XVIII est à Mitau, autant dire exilé au bout du monde ; Joseph de Maistre réside à Cagliari en Sardaigne où son souverain, contraint de s’y réfugier, l’a nommé régent de la chancellerie royale, première place de la magistrature dans l’île. Il ne quitte ce poste qu’à la fin de 1802 pour aller représenter le roi de Piémont en Russie. Mais déjà Louis XVIII n’y est plus. Chassé de Mitau, il a trouvé un asile à Varsovie à la condition de s’y faire oublier. Aucune nouvelle de lui n’arrive à Joseph de Maistre.

Le monarque proscrit n’ignore pas, cependant, qu’il peut toujours compter sur le dévouement de ce partisan fidèle de la cause des rois et de la sienne. De Maistre en a donné l’assurance au comte d’Avaray et au jeune comte de Blacas qu’en route pour Saint-Pétersbourg, il a rencontrés à Rome au printemps de 1803. Aussi, lorsqu’en 1804, Louis XVIII quitte Varsovie pour se rendre à Calmar où il doit revoir son frère et arrêter avec lui les termes de la protestation qu’il veut opposer à la proclamation de l’Empire usurpateur de ses droits, c’est à Joseph de Maistre qu’il songe pour donner à sa pensée des formes éloquentes, propres à frapper l’esprit et le cœur des Français. Il charge Blacas dont il vient de faire son agent à Saint-Pétersbourg de porter au comte de Maistre un premier projet de sa déclaration et de lui dire en le lui remettant : « Coupez, taillez, tranchez. »

A cette occasion la correspondance se renoue entre l’illustre correcteur aux lumières duquel on a fait appel et le comte d’Avaray parlant au nom du Roi[1]. Mais le débat qui s’engage,

  1. Les lettres écrites par De Maistre à cette occasion figurent dans la correspondance imprimée. Édition de Lyon. vol. 1.)