Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV

L’armée serbe est actuellement pourvue d’un canon de campagne système de Bange, modèle 1877 ; depuis 1903, le gouvernement serbe annonce l’intention de renouveler ce matériel pour adopter une pièce à tir rapide. Mais, en Europe, un petit nombre seulement d’établissemens sont outillés pour une telle fourniture : auquel la Serbie allait-elle s’adresser ? Les argumens techniques, dans un tel débat, n’entrent pas seuls en jeu, la politique y intervient ; il n’est pas toujours permis aux petits États d’acheter leurs canons, leurs fusils ou leur bateaux là où ils peuvent être le mieux servis : clientèle politique entraîne clientèle économique. Il n’est pas besoin de rappeler à quel point des établissemens comme ceux de Krupp sont ouvertement patronnés par l’Etat et par le souverain lui-même. Une importante commande d’artillerie n’apporte pas seulement un bénéfice considérable à l’usine qui la reçoit, elle constitue un avantage moral et matériel pour le pays auquel appartient l’usine ; elle est comme une consécration de la supériorité de son industrie ; aujourd’hui les rivalités nationales se manifestent, en temps de paix, par des rivalités industrielles et commerciales, et il arrive que les gouvernemens mettent en action toutes les ressources de leur diplomatie afin d’assurer la préférence à leurs nationaux. Une première commission serbe, composée de quatre officiers, partit donc, en août 1903, pour se rendre chez Krupp, à l’usine autrichienne Scoda (près de Pilsen en Bohême), chez Erhardt (à Düsseldorf) et au Creusot. Les conclusions des techniciens furent nettement favorables aux usines Schneider et, dès ce moment, le gouvernement serbe se serait conformé à leur avis, si Krupp et Scoda n’avaient lié partie pour organiser une campagne et assurer quand même aux usines allemandes la commande du gouvernement serbe. Rien ne serait curieux, pour pénétrer, dans sa réalité vivante, l’histoire de notre temps et en connaître les ressorts secrets, comme de suivre toutes les péripéties d’une grande affaire industrielle : malheureusement une telle histoire, difficile à connaître, est impossible à raconter. Campagne de presse, intimidation diplomatique, promesses et menaces, corruption, tout fut mis en œuvre pour retarder la commande, provoquer de nouvelles expériences et assurer la