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royaume ; c’est le nœud politique et stratégique de toute la région ; par là passe la route des invasions, celle qui mène aux champs de Kossovo.

La Bosnie-Herzégovine compte 800 000 habitans orthodoxes, 600 000 musulmans, 300 000 catholiques : tous sont Slaves ; on peut même dire tous sont Serbes si l’on veut se souvenir que Serbes et Croates ne sont que deux rameaux de la même race. Ce sont en général les Croates qui sont catholiques et qui, par ce fait, sont moins rebelles à l’influence de Vienne ; ils peuplent surtout le coin nord-ouest de la Bosnie ; leur religion les attire du côté de l’Occident, tandis que les orthodoxes regardent plutôt vers Belgrade. Les musulmans eux-mêmes sont des Serbes, non pas seulement par leur origine, mais de leur propre aveu : ce sont en général les anciens seigneurs du pays qui, au moment de la conquête, sont passés à l’Islam pour garder leurs fiefs et leurs privilèges féodaux ; il s’est produit là un phénomène comparable à celui qui, dans certains pays de l’Occident, a, au XVIe siècle, incliné la noblesse vers la Réforme. Aujourd’hui ces musulmans restent plus attachés à l’Islam qu’à Constantinople ; beaucoup ne connaissent pas un mot de turc ; tout au plus savent-ils réciter la prière en mauvais arabe ; ils gardent leur situation sociale privilégiée, leurs titres, leurs tchifliks[1] et leurs prérogatives de beys ou d’agas ; mais ils se savent et se disent Slaves. Lors de l’insurrection de 1876, Serbes et Bosniaques se levèrent ensemble pour secouer le joug turc et proclamèrent leur volonté de s’unir tous en un seul État ; mais l’insurrection fut vaincue et réprimée avant que la guerre de 1878 eût affranchi les Balkans. Le traité de San Stefano, qui créait la Grande-Bulgarie, ne faisait rien pour la Bosnie, et c’est du côté du Sud, en Vieille-Serbie, qu’il agrandissait le royaume serbe ; il étendait le Monténégro du côté de la mer, mais il laissait subsister, par condescendance pour le cabinet de Vienne, une Bosnie -turque. Le traité de Berlin, en donnant à l’Autriche-Hongrie l’administration de cette même Bosnie et de l’Herzégovine, et en lui permettant de mettre des garnisons et d’avoir des routes militaires dans le sandjak de Novi-Bazar, trompa les espérances des patriotes Bosniaques et, du même coup, fit dévier la politique serbe en lui fermant le chemin de l’Est et en la séparant du Montenegro.

  1. Sorte de fief ou de propriété seigneuriale.