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La lune cachée blanchit les nuages ; l’air et la terre, tout semble vivre ; de la rose et de l’acacia, les odeurs viennent me caresser comme un vaincu !

Je sens courir dans ma poitrine et dans mon esprit je ne sais quel rire silencieux et caressant ! J’aspire à me perdre dans l’abîme et j’espère l’ombre éternelle et l’avenir borné !

Mais voici que devant moi, là, m’apparait la Morte, renversée parmi les fleurs, comme souriant au son de voix surhumaines, absorbée, pâle d’une immense vision !

Je joins les mains, et peu à peu le monde va se transformant autour de moi. Toute la Nature se pénètre à nouveau de Dieu ; toutes choses, l’ivresse tombée, rentrent en elles-mêmes.

Les nuages ont le sens du mystère ; l’ombre frémit, qui le sait, et toute fleur, vers le haut et austère Amour, élance son âme, comme un encens !

Comme d’un qui prie silencieux et absorbé sont tes silences et le murmure du vent ! Je ne vois plus la dormeuse ; en moi je sens Dieu rentrer comme un torrent !

Et dans mes mains je cache mon visage ; je la bénis, je l’appelle et je l’appelle encore ! Et Elle vient, j’écoute sa voix ; elle parle d’amour ou de douleur, je ne sais.

Elle parle, elle parle si tendrement, si tristement, et je pleure tant que je ne peux l’entendre ; mais je sens comme une main légère au-dessus de ma tête. Je sens comme un pardon venir à moi.

Et je lève les yeux ; jusqu’au fond du cœur je respire son souffle, le souffle de celle qui est partie ! Tout est solennel, le monde entier adore. Parle, Seigneur, Ton serviteur est là.


IV

« Parle, Seigneur, Ton serviteur est là. » Ce cri de la fin résume toute la morale de Fogazzaro. On croit en entendre l’écho dans les dernières lignes de Daniel Cortis lorsque celui-ci, après l’affreux déchirement qui bouleverse toute son existence, qui déchire tout son être, car il brise sa nature pour l’offrir à Dieu « qui la veut toute, » s’arrache à la contemplation de son passé et, lesté de toute passion personnelle et intéressée, s’élance vers l’avenir :


Cortis, resté seul, se dressa tout debout. Les bras croisés, il regarda d’un œil sévère, là, en face de lui, le portrait de son père et dit d’une voix forte :

— Voici.


C’est qu’en effet, pour avoir leurs regards tournés vers l’autre monde, les personnages animés par Fogazzaro n’en ont pas moins le sentiment de leurs devoirs ici-bas. On pourrait