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craindre que la vision et la préoccupation de l’au-delà ne les en détournât : elles les y maintiennent au contraire et les y poussent. Nous sommes ici en pleine morale catholique. L’auteur de Il Santo n’en a pas et ne veut pas en avoir d’autre. Chacun de nous vient en ce monde avec une mission, et cette mission peut présenter parfois des caractères spéciaux, mais la caractéristique essentielle en est la même chez tous : glorifier le Père ! c’est-à-dire faire que « son règne arrive » et par conséquent accomplir sa volonté. Or, le premier devoir est d’aimer le Seigneur, mais le second est d’aimer son prochain, et le second est semblable au premier. Il faut lire toutes les merveilleuses prédications du Saint. Elles n’ont pas d’autre substance ni d’autre objet. D’ailleurs, quelle pensée avait converti Pierre Maironi, en avait fait ce Benedetto humble, repentant, mais fort, mais souverainement maître de lui, sinon l’illumination subite de sa vie inutile, et le dégoût de cette vie, et la volonté de bander ses forces pour la glorification de Dieu, par l’amour de ses semblables ? Sans doute l’austère Louise, à la logique inflexible, au jugement purement intellectuel, reprochait à François de trop se contenter d’aimer Dieu et de le prier, et puis de s’abandonner oisivement à la contemplation de ses montagnes et de son lac, à la culture de ses fleurs, aux douces causeries, à la musique, au babillage d’Ombretta ! Et il est vrai que François méritait ce reproche. Mais vienne l’occasion de se montrer vraiment courageux et fort, viennent les luttes suprêmes pour l’indépendance de la patrie, et voici que François, abandonnant ses plantes et son « eau sédative, » va se faire blesser mortellement sur les champs de bataille. Vienne l’horrible catastrophe qui anéantit Louise et fait sombrer sa raison altière, et voici que François, malgré son immense douleur, redresse ses forces intactes pour continuer l’œuvre quotidienne en louant la bonté du Seigneur ! Sans doute aussi Conrad Silla meurt sans avoir rien fait, « inapte à vivre ; » Daniel Cortis s’effondre avant d’avoir pu prononcer un discours à la Chambre et il donne sa démission de député sans avoir rien tenté. Il semble que ces chrétiens soient frappés d’impuissance pour l’action ! C’est que tous, à n’en pas douter, ne sont encore, dans l’esprit de Fogazzaro, que des ébauches ; c’est que toute son œuvre est la gestation de Benedetto. Ils sont l’homme luttant, luttant sans cesse, troublé, vaincu, se relevant, se reprenant pour retomber encore et pour