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leurs offrandes;... ne souffrir personne qui fût puissant par son argent, son autorité ou sa clientèle. D’un esprit audacieux, avare, extrêmement impie et jamais saturé de meurtres, étendant sur tous une haine mortelle, il avait à ce point dévasté les villes les plus florissantes, que, lorsqu’il avait expédié ceux des partis adverses qui lui étaient suspects, il attaquait ensuite inhumainement les Gibelins ses meilleurs amis et ses intimes familiers. Il avait construit en chaque ville et place forte de ténébreuses et horribles prisons, où il enfermait par troupeaux les hommes qu’il avait pris en haine, afin qu’épuisés de faim et rongés de malpropreté misérable, accablés par une atroce odeur et la livide obscurité, ils mourussent cruellement dans les fers et le collier de force, et que pour tous les autres, pâles d’angoisse, l’immense puanteur des cadavres en putréfaction fit venir, de contagion et de peur, une mort souhaitée. Car l’inclémence des gardiens était telle qu’ils ne nettoyaient qu’à intervalles d’un mois les cachots comblés d’une épaisse couche d’ordure et de l’abondante sanie des cadavres corrompus, et qu’ils retiraient avec des crocs du milieu des mourans les corps amoncelés des morts. Nulle part, même les plus vastes prisons ne pouvaient recevoir les captifs même accumulés en tas ; les nombreuses brigades de tortionnaires et de bourreaux ne suffisaient pas aux supplices, ni aux exécutions par la corde et par la hache. Des hommes étaient déchirés vifs en lanières avec des couteaux. D’autres, pêle-mêle, par groupes, en longue série, étaient liés à des palissades, enveloppés de flammes et brûlés... C’était pour le tortionnaire et le bourreau crime capital que de hâter les supplices : il fallait que la vie fût, par minutes et momens, prolongée pour de longues tortures. Quant aux innocens, qu’il eût destinés à la mort, il cherchait dans son extrême cruauté la louange d’une feinte clémence, en les renvoyant avec un œil, un bras ou une jambe ; à ceux qui pleuraient la mort de leurs proches, il arrachait les yeux pour les faire cesser de pleurer ; à ceux qui, de terreur, méditaient la fuite, pour leur épargner la fatigue de la route, il amputait les pieds ; à ceux qui osaient plaindre le malheur des autres, il coupait la langue, afin qu’ils ne pussent vociférer longtemps. Les délateurs eux-mêmes, repris pour indulgence et incurie quand ils ne livraient pas les noms des gens à condamner, étaient conduits sur une haute tour, pour être vus plus sûrement et, affreux amusement, mais peine méritée, précipités dans le