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Mme de Vence et de M. de Tourettes. Vous sentez que tout ce monde ne respire que la joie ; en conséquence, il a fallu faire des courses à cheval sans nombre, danser, jouer des proverbes, et s’amuser à toutes sortes de jeux aussi graves que ceux auxquels nous jouions l’année passée. J’ai pensé bien souvent que si papa (le marquis de Mirabeau] nous voyait, il nous demanderait quand nous cesserions de délirer. J’avais grand regret, je vous assure, qu’il ne fût pas à portée de nous faire cette question...


Pendant la saison chaude, Emilie papillonnait ainsi de château en château, au pied des Alpes de Provence, ne passant à Aix que l’hiver. Les applaudissemens donnés à ses talens divers n’étaient que de loin en loin entrecoupés du bruit des plaintes de Mirabeau. Du fond de sa geôle, où son père croyait l’avoir réduit au silence, il parvenait à faire sortir d’éloquens appels à la pitié de sa femme et de son beau-père. Emilie y répondait avec une froideur et une sécheresse visiblement délibérées, tandis que M. de Marignane portait plainte au ministre contre ce gendre assez adroit pour enfreindre le règlement des prisons d’Etat et assez méchant pour jeter des nuages sur les ciels sereins de Tourves et de Marignane. Presque en même temps que Mirabeau entrait au donjon de Vincennes, où une chambre de dix pieds carrés était son univers, le tribunal de Pontarlier, jugeant par contumace, avait condamné la marquise de Monnier à avoir la tête rasée et à être enfermée sa vie durant au couvent, et son séducteur à perdre la tête sur l’échafaud. Emilie était sur les planches, à jouer la comédie, quand lui fut annoncé ce terrible arrêt ; elle n’interrompit pas la représentation ; et loin de ralentir par la suite le cours de ses dissipations, elle y entraîna avec elle son Gogo. Rien ne la divertissait comme de voir cet enfant prendre du goût pour ses tréteaux, suivre ses répétitions et montrer des prédilections marquées pour les rôles du Déserteur ou celui d’Alcindor dans la Belle Arsène ; « il s’essayait à faire les beaux bras » sur la scène toutes les fois qu’il pouvait y grimper avec la petite de Galliffet. Car le centre de ces fêtes était, à deux lieues d’Aix, le château du Tholonet, dont les châtelains étaient le marquis de Galliffet et son fils, le comte Alexandre.

Ce château, qui subsiste encore, régnait sur un domaine immense et d’un pittoresque varié à merveille. Le corps principal n’avait ni style, ni ornementation, ni aucune sorte d’appareil à l’extérieur ; ce n’était qu’une grande maison bâtie à l’italienne pour recevoir ; on y comptait jusqu’à douze petits appartemens